Il fut un jour à Gorée
prises par le gouvernement à Paris ! Et Paris ne réagit pas. Les esprits généreux de la métropole avaient beau s’agiter, les Blancs des colonies gardaient les mains libres et imposaient leurs règles.
Birago interrompt mon récit. Lui, le petit garçon d’aujourd’hui, il cherche à comprendre. Encore une fois, il me parle de révolte… Pourquoi les esclaves ne prenaient-ils pas la fuite ? Ne valait-il pas mieux tenter coûte que coûte l’aventure de la liberté ?
Beaucoup, en effet, préféraient s’évader. Mais il ne faut pas croire que cette entreprise était facile. Les esclaves se trouvaient constamment placés sous la surveillance de gardiens armés. Et puis, pour les plus récalcitrants, on avait inventé un instrument particulièrement redoutable : un collier muni de longues tiges recourbées. En cas de fuite, les pointes de ce collier s’accrochaient dans les branches des arbres ou dans les taillis des fourrés. D’autres portaient des clochettes dont les tintements signalaient leur présence. Et pas moyen de retirer ces instruments de torture. Ils avaient été solidement fixés et rivetés par le maréchal-ferrant !
N’empêche, ils ont été très nombreux, malgré tout, à tenter la fuite vers un semblant de liberté dans les montagnes ou les forêts. Ils s’échappaient. Malgré les chiens qui rôdaient, malgré les maîtres qui les poursuivaient, malgré la mort qui les attendait s’ils étaient repris.
On a appelé ces fugitifs « les Nègres marrons », un terme qui vient de l’espagnol
cimarrón
et désignait à l’origine des animaux domestiques retournés à l’état sauvage. Sans scrupule, on a appliqué le mot aux esclaves en fuite.
Bernardin de Saint-Pierre racontait, en 1769, une chasse aux esclaves marrons… « On leur donne la chasse avec des détachements de soldats, de Nègres et de chiens. Il y a des habitants qui s’en font une partie de plaisir. On les relance comme des bêtes sauvages ; lorsqu’on ne peut les atteindre, on les tire à coups de fusil, on leur coupe la tête, on la porte en triomphe à la ville au bout d’un bâton. Voilà ce que je vois presque toutes les semaines. »
Si le Marron était repris sans arme, il n’était pas obligatoirement tué. La première fois, on lui tranchait un morceau de l’oreille droite. Une manière de le marquer pour mieux le surveiller. À la deuxième tentative, on lui coupait le nerf du jarret. Qu’il aille, après cela, tenter de courir vers les collines ! S’il trouvait la force et le courage de s’évader une troisième fois, il était mis à mort.
Ces Marrons prenaient la fuite individuellement ou par tout petits groupes. Ensuite, il fallait survivre. Les évadés n’hésitaient pas à attaquer des fermes ou des dépôts pour se procurer de la nourriture, faisant régner dans les milieux des maîtres une crainte permanente.
Pour les fuyards, une chasse sans pitié.
Il arriva pourtant, notamment au Brésil, que des fugitifs puissent former de grandes communautés bien organisées, vivant relativement tranquillement de l’élevage et de la culture des terres.
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Mais si les évasions étaient une affaire individuelle, les révoltes prenaient de plus larges proportions. D’ailleurs, c’était l’obsession des maîtres. Ils vivaient dans la terreur permanente d’un soulèvement général qui viendrait abattre l’ordre établi.
L’une des premières tentatives de rébellion se déroula à Stono, en Caroline du Sud. En 1739, une vingtaine de Noirs s’échappèrent pour se rendre en Floride, alors terre espagnole, où ils espéraient obtenir la liberté. Sur leur route, d’autres esclaves se joignirent à eux, formant bientôt une troupe de cent cinquante rebelles qui, sur leur passage, tuaient des planteurs et ravageaient des fermes. Mais la fuite s’acheva quand les soldats blancs rattrapèrent les évadés et en exterminèrent la plupart.
Cette première révolte fut donc un échec, mais elle parvint à entretenir chez les esclaves l’espoir d’une délivrance obtenue par la force. Elle développa des légendes que l’on se racontait dans les plantations… On disait qu’ailleurs, très loin sur le continent américain, des hommes noirs avaient obtenu la victoire. Ils avaient brisé leurs chaînes et s’étaient réfugiés sur des terres inaccessibles aux maîtres blancs. Des contrées où ils vivaient désormais dans l’indépendance et la
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