Jack Nicholson

nuits sans sommeil sur Venice Beach. C’était aussi important que d’avoir du travail, ou tout du moins ça en avait l’air. »
    En un sens, Jack et ses amis appartenaient à une In-Between Generation, dont l’avènement se situait à la fin de la Beat Generation et au début de la Love Generation , mais qui n’appartenait au sens strict à aucune des deux. Étant plus jeune que les autres, et venant d’un milieu plus provincial, Jack était encore plus « entre-deux » que ses amis. Si Easy Rider transformerait son image en faisant de lui une personnalité des sixties, Jack était plutôt un hybride ; il empruntait des attitudes et des valeurs aux gens qu’il rencontrait, mais aussi aux différentes périodes.
    Les In-Betweeners (contrairement au cercle d’amis de Jack dans le New Jersey) considéraient qu’être intelligent était quelque chose de cool. Et aussi qu’être triste était quelque chose de cool. Tout le monde essayait d’être le premier à découvrir ce qui était le plus cool – le plus authentique, le plus vrai, le plus artistique.
    Les idées, les informations et les influences culturelles étaient partout. Jack et ses amis n’avaient pas besoin des recommandations de Corey pour aller voir des expositions, assister à des lectures de poésie, fréquenter les clubs et les salles de concerts, aller au théâtre ou au cinéma, lire des fictions, des biographies, des essais philosophiques ou historiques.
    C’était l’époque où Nichols & May faisaient leurs improvisations novatrices sur le Sunset Strip. Les amoureux de jazz pouvaient facilement surprendre Billie Holiday en train de chanter dans un club de Los Angeles, ou bien, dans un autre lieu de la ville, écouter le saxophoniste ténor John Coltrane, qui avait pris la tête de l’avant-garde du milieu du jazz. À Venice Beach, Lawrence Ferlinghetti et Allen Ginsberg récitaient leurs vers d’associations libres dans des librairies et des cafés.
    Howl d’Allen Ginsberg et Sur la route de Jack Kerouac venaient tout juste d’être publiés. Jack et ses amis lisaient Ginsberg et Kerouac, s’identifiant à leurs styles de vie et d’écriture rebelles (Howl est exposé de façon ostentatoire sur une étagère de la bibliothèque du personnage principal de The Trip). Ils trouvèrent également un autre livre de chevet en L’attrape-cœurs de J.D. Salinger, dont le héros, un lycéen fugueur, méprise le monde « artificiel » des adultes.
    Jack et ses amis s’échangeaient des œuvres de Catulle, Chaucer, James Joyce, Henry Miller et Oscar Lewis – dont les chroniques sociales réalistes, Cinq familles et plus tard Les enfants des Sanchez, leur ouvrirent les yeux sur la paupérisation du Mexique et la vie des immigrants. Ils discutaient de l’existentialisme, de l’inconscient collectif, du bouddhisme zen, des liens entre le sexe et le pouvoir ; ils parlaient de Jung, Reich, Alan Watts, Nietzsche, Sartre et Camus. En particulier de Camus, qui, dans ses œuvres telles que le roman L’étranger et le recueil d’essais Le mythe de Sisyphe, explore la théorie de l’absurdité cruelle de la vie et de la nécessité de profiter de chaque instant. Cela semblait être une philosophie à laquelle beaucoup d’entre eux, dont Jack, pouvaient souscrire.
    S’il était doué pour argumenter, Jack l’était aussi pour écouter, et apprenait vite. Quand tout le monde parlait d’un livre, Jack le lisait immédiatement. Ou peut-être était-ce lui qui l’avait lu en premier ? Ou peut-être encore qu’il ne l’avait pas lu du tout, qu’il faisait semblant de l’avoir lu ?
    Alors qu’il faisait ses débuts en tant qu’acteur, Jack avait déjà de remarquables facilités pour lire rapidement son texte et mémoriser ses répliques. Ce que Jack lisait ou entendait, il l’enregistrait facilement, n’avait aucun problème à se le remémorer, et pouvait souvent le ressortir textuellement.
    « Je m’interrogeais toujours sur ce que Jack avait vraiment lu, commente un ami de cette époque. Henry Miller, Watts et Reich, je pense, mais pour ce qui est des autres auteurs qu’il cite, j’ai parfois du mal à le croire. Je me demande s’il ne se contentait pas de retenir une ou deux citations et de les ressortir de temps à autre, pour épater la galerie. »
    Pour Nicholson, cette époque fut comme une université sans murs. Des années plus tard, quand Jack devint une star, il fit parler de lui pour les citations dont il