Je n'aurai pas le temps
Don York s’approche à nouveau du groupe à l’avant du bus :
« Il n’y a pas de barrage sur cette route. Pourtant, il serait plus logique que ce soit par là que les espions arrivent, plutôt que par l’autoroute. Vos explications ne sont pas les bonnes. » Nouvelles discussions. Chuchotements interminables. Puis, brusquement, l’interprète nous annonce : « Nous arrivons à Sochi, station balnéaire réputée de la mer Noire. »
À l’entrée de la plage de sable fin, une immense pancarte « Vive le Parti communiste », illustrée par l’image de familles folâtrant dans l’eau. Au-dessus, les mots : « Une bonne détente est essentielle à celui qui veut mettre toutes ses forces au service du communisme. » L’acharnement idéologique jusqu’à la plage !
Nous arrivons enfin à Yalta. Visite guidée de ce haut lieu de l’histoire du communisme. Déjeuner dans un grand hôtel. Partout des images de Lénine bénissant des ouvriers au large sourire, sous la bannière frappée de la faucille et du marteau.
Il est plus de 14 heures. La salle à manger est vide. Nous en sommes les seuls convives. Aussitôt attablé, je vois s’installer à côté de nous un groupe de musiciens avec percussions et guitares électriques. Ils se mettent à jouer un mauvais rock’n’roll. La sono est poussée à outrance. Onne s’entend plus parler. Je suggère qu’on leur demande de s’arrêter. Nos agents s’approchent d’eux et discutent longuement.
Appels téléphoniques nombreux. Puis la réponse : « Ces musiciens sont sous contrat avec obligation de jouer quand il y a des clients. »
Je propose un compromis, qui est accepté avec soulagement. Qu’ils aillent s’installer à l’autre bout de la salle. Nous pourrons, enfin, discuter entre nous.
Le service est extrêmement lent. Nos agents nous disent que nous ne sommes pas dans la période estivale et que le personnel est réduit. Mais alors, pourquoi quatre musiciens ? Convention syndicale !
Dessert. Café. Au moment du départ, un agent s’approche et nous dit : « Il y a encore cinq heures de route pour Sébastopol. On n’y arrivera pas avant la nuit. Nous avons pris trop de retard. Nous devons renoncer et revenir à Simpheropol. »
Je regarde Don York. « Tu vois, lui dis-je en haussant les épaules. Cette fois, ma lettre d’invitation n’a pas fait de miracle. » Et je me demande à quoi rime cette aventure. Encore une fois, un sentiment d’irréalité m’envahit.
Le lendemain, un des agents du minibus m’entraîne sur un chemin désert.
« Je vais tout vous expliquer. Hier, il y avait des élections et, ce jour-là, les Russes se soûlent énormément. Les barrages étaient destinés à vérifier l’état éthylique des chauffeurs. N’avez-vous pas remarqué qu’ils n’ont pas épluché nos documents ? Le communisme est censé avoir éliminé l’alcoolisme en URSS. Il faut donc cacher son existence aux étrangers. D’où cette comédie inventant des espions venant de Turquie.
« En outre, Sébastopol est une base militaire, une des plus importantes de l’URSS. Pas de visite possible pour un Russe, encore moins pour un touriste ! Mais de telles basessont-elles ouvertes au public chez vous ? Ici, la propagande officielle a pour objectif de faire croire à un grand pays pacifique. Ton ami York et toi n’irez jamais à Sébastopol. On ne vous dira pas non, mais on trouvera toujours des prétextes pour que vous n’y arriviez jamais ! »
Oublier Samarcande
De retour à Moscou, je suis reçu dans un bureau de l’Intourist. J’espère y recevoir mon programme pour Samarcande. Une dame me dit : « Il y a un problème. Vous avez pris beaucoup de retard, notamment en restant en Arménie plus longtemps que prévu. Pourquoi n’en êtes-vous pas revenu plus tôt ? La validité de votre visa s’achève demain ! »
Je sais maintenant qu’il est inutile de protester. Tout s’éclaire : mon séjour en Arménie a été volontairement prolongé pour que je ne puisse pas me rendre à Samarcande. Pourquoi ? Tout simplement, sans doute, parce que n’ayant mentionné le nom d’aucun chercheur dans cette ville, ils en avaient déduit, correctement, que j’avais cherché à voyager « aux frais de la princesse ». J’ai vu dans ses yeux qu’elle avait compris que j’avais compris…
Quant à mon interrogation au sujet de l’exploration de la Lune, j’obtiendrai la réponse plusieurs années
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