Je n'aurai pas le temps
plus tard de la bouche de scientifiques qui avaient participé à cette aventure. Face aux attitudes généralement hostiles des autres pays, l’URSS avait donné la priorité au développement de son équipement guerrier. Tous les moyens disponibles avaient été mis à la disposition de la puissance militaire. Les forces armées avaient recruté les scientifiques les plus compétents et doté leurs laboratoires de moyens considérables. À l’inverse, ou peut-être en conséquence des limites financières, les observatoires astronomiques, les universités et leurs laboratoires de recherche ne vivaient que de maigres subventions. En tant que visiteur d’un pays étranger, je n’étais évidemment pas invité à visiter ces centres militaires qui m’auraient donné des réponses à mes questions. Tout était là.
Chapitre 21
À l’université de Lund en Norvège
Bernard Peters : le trio lithium-béryllium-bore
À Lund, en Norvège, l’étude des rayons cosmiques se poursuivait activement depuis la fin de la guerre sous la direction de Bernard Peters. Grâce à un programme d’expériences dans lequel on envoyait des détecteurs à bord de ballons et de fusées, son équipe et lui avaient fait rapidement progresser nos connaissances. Ils avaient détecté, parmi les particules de haute énergie qui sillonnent le ciel, une grande variété de noyaux atomiques, des plus légers aux plus lourds. Notamment, il s’y trouvait une forte abondance de noyaux de lithium, de béryllium et de bore, ce qui m’intéressait tout particulièrement puisqu’ils étaient l’objet de mes recherches. Une nouvelle pièce s’ajoutait à mon puzzle. Que pouvait nous apprendre cette découverte sur l’origine de ces éléments dans le cosmos ?
Connaissant mon intérêt pour ce sujet, Peters m’invita à l’Institut Niels-Bohr (un des fondateurs de la physique quantique) à Copenhague pour y donner un enseignement général sur la nucléosynthèse et discuter des résultats de leurs expériences. Juif allemand d’origine, il avait quitté l’Allemagne nazie et s’était réfugié aux États-Unis où il travaillait comme débardeur dans le port de Baltimore. Poursuivant néanmoins son rêve d’enfance, faire de l’astrophysique, il s’était inscrit aux cours du soir de la faculté locale et avait soutenu une thèse sur les rayons cosmiques.Ses capacités et sa persévérance firent de lui un spécialiste de la question. Mais ouvertement communiste, la « chasse aux sorcières » qui régnait aux États-Unis dans les années 1950 lui ferma toutes les portes universitaires. Le Laboratoire de Lund l’avait accueilli, lui confiant le poste de directeur.
Un soir que son épouse et lui m’avaient invité à dîner dans leur bel appartement du bord de mer, il me posa la question suivante : « Peut-on imaginer que tous les atomes de ton trio dans le cosmos aient été engendrés par les rayons cosmiques ? » J’avais envisagé cette hypothèse, mais elle se heurtait à plusieurs difficultés expérimentales : « Certaines mesures des populations de ces atomes, en particulier dans l’atmosphère du Soleil, sont en contradiction avec ce scénario », lui répondis-je.
« Vous êtes un théoricien, me répliqua-t-il, et moi un expérimentateur. Je suis par conséquent plus méfiant que vous quant aux données rapportées par mes collègues. Seriez-vous d’accord pour examiner de plus près leur validité avec moi ? » Si l’on reprend l’image du puzzle que j’ai évoquée précédemment, on pourrait interpréter ses mots ainsi : « Avant toute chose, assurez-vous de la qualité des pièces. » Très intéressé, j’avais accepté sa proposition. Aussi, les jours suivants, à la bibliothèque de l’Institut, nous avons étudié les articles qui rapportaient ces mesures. Il m’expliqua pourquoi, à son avis d’expert, les chiffres mentionnés étaient beaucoup plus incertains que ne le prétendaient leurs auteurs. Des observations ultérieures confirmèrent son verdict, et les objections que j’avais soulevées ne tenaient plus. Le scénario du trio lithium-béryllium-bore trouvant son origine dans les rayons cosmiques devenait tout à fait crédible. Nous venions de faire un grand pas en avant… Mais, pour l’accréditer pleinement, il fallait encore effectuer des expériences au laboratoire de physique nucléaire…
Nous pouvons tirer deux leçons importantes de cettepetite histoire. La
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