Je Suis à L'Est !
gaffes de vie
Certaines questions nâauront, je le crains, tout simplement jamais de réponses. Les raisons profondes de la nécessité dâaller à lâécole en font partie. Il y a la réponse officielle, à savoir que lâon va à lâécole pour apprendre ce que dit la maîtresse ou le maître. La réponse foucaldienne, qui évoque la discipline des corps. Celle de lâÃglise romaine, quelque peu liée, qui invoque la vertu. Jâai retenu pour ma part avant tout lâarbitraire de lâobligation de scolarité. Câest paradoxalement dâailleurs pour cela que je lâappréciais malgré tous ses défauts. Aujourdâhui, je crois que lâécole est bel et bien un lieu dâapprentissages nécessaires ; seulement, ce ne sont pas toujours ceux que le programme prévoit explicitement.
à maintes reprises, on a proposé ma déscolarisation ou au moins mon redoublement. Le « on » est ici délibérément indéterminé. Je ne crois pas quâil y ait eu une sorte de « grand Satan » central luttant pour mon échec, plutôt des personnes, tout à fait estimables par ailleurs, mais convaincues du bien-fondé de leur position, ou alors suivant les non moins légitimes instructions de personnes ayant autorité. Beaucoup de parents ont lâimpression tenace de lutter contre un bloc omniprésent mais invisible, comme si chaque étape du parcours se muait en un ennemi sournois.
Mon premier contact avec lâécole a été lâannée de grande section, où je nâallais quâà mi-temps, le matin. Mây rendre lâaprès-midi était impossible, au-delà de mes aptitudes. Je me souviens fort bien de la réunion avec la directrice, à laquelle je nâavais rien compris naturellement, si ce nâest ce que plus tard mes parents mâavaient expliqué quâelle avait été réticente au compromis proposé, avant dâaccepter. à la fin de mon année de grande section, tout le monde, à commencer par la maîtresse, voulait que je redouble parce que je nâavais pas du tout les compétences requises pour passer en CP. Rétrospectivement, je me dis que si on avait attendu que je les acquière, je serais peut-être encore en grande section ! On peut savoir lire et écrire, se passionner pour les différentes espèces de moisissures, et être incapable de jouer au cerceau avec ses camarades. Le problème, câest que dans les petites classes, nous sommes évalués sur des aptitudes qui comptent parmi les plus difficiles pour des personnes avec autisme. Et qui nâéveillent souvent quâun intérêt limité : la différence majeure entre une intégrale triple et le karaoké tient non pas au fait que les deux soient le plus souvent difficiles, mais à lâintérêt que nombre de jeunes avec autisme portent aux premières, tout en ne percevant pas nécessairement celui de lutter pour profiter du second. Cela ne veut pas dire, nous y reviendrons, que les personnes avec autisme ne rechercheraient pas le contact, au contraire ; toutefois, le plaisir tiré des vociférations et gesticulations frénétiques des enfants dans la cour de récréation peut être incompréhensible.
Sur le plan social, jâétais seul. Jâavais peur des autres enfants â et ce, hélas, avec raison, ou du moins avec de bonnes raisons. La peur était quasiment quelque chose de rationnel et raisonnable. Chaque jour, je recevais des coups. Certains jeux de groupe tournaient expressément autour des façons appropriées pour se défouler sur moi. Il ne faut pas croire que le phénomène des violences scolaires nâexiste que dans les mauvais établissements : jâétais scolarisé dans des établissements de taille restreinte, jugés bons, voire très bons. à lâépoque, les surveillants nâavaient pas le réflexe de veiller à ce quâaucun enfant ne se fasse tabasser. Lâont-ils aujourdâhui ? Jâose y croire, tout en nâen étant pas sûr. Pire : en situation de handicap, la faute de mes mauvaises fortunes sociales mâétait naturellement imputée. Si dans un groupe de quatre enfants, A, B, C et D, les trois derniers refusent de jouer avec lâenfant avec
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