Je Suis à L'Est !
traumatisme psychique irréversible, ce silence lâaurait conduit dans un hôpital psychiatrique et nous aurait sans doute privés à jamais dâune intelligence hors du commun.
Car cet enfant qui nâétait pas jugé apte à entrer en CP, cet adolescent si souvent traité dâidiot, de taré ou de débile mental, cet homme qui a tant de mal à dire bonjour, à entrer dans un café et pour qui lâacte quotidien le plus anodin comme acheter son pain ou passer un coup de téléphone devient une source dâangoisse insurmontable est sorti diplômé de Sciences Po Paris, est aujourdâhui docteur en philosophie, parle couramment de nombreuses langues, écrit des discours et donne des conférences dans le monde entier.
Mais pour un Josef Schovanec qui a eu lâimmense chance dâêtre entouré et a trouvé la force de ne jamais se résigner, combien de milliers dâenfants autistes non diagnostiqués avant lââge de six ans et condamnés à une prison du silence à vie ?
Reviennent alors des bouts de notre propre mémoire, une cour dâécole, un enfant seul dans un coin, étrangement habillé, silencieux, le regard fuyant, celui ou celle à qui on ne parlait pas, proie idéale des pires vexations et humiliations. Dans ce monde dont il ne comprend pas les codes, câest en se rendant compte quâil était le seul élève de sa classe à se faire systématiquement tabasser à la récréation que Josef Schovanec a pris conscience de sa différence.
Mais la plainte nâest jamais le registre de Josef Schovanec comme de tous les autistes que jâai rencontrés. Leur mise à lâécart systématique de tous les lieux de vie, lâécole, la bibliothèque, la piscine, lâuniversité, lâentreprise, crée dâimmenses souffrances, mais jamais de rancÅur. Jamais dâagressivité. Au contraire, une curiosité, une extrême et même délicate attention à lâautre, dans une franchise et une candeur souvent désarmantes. Comme des mots dâadultes sur des attitudes dâenfants.
Josef Schovanec a fait de son handicap un atout. Personnalité très attachante, il nâoublie jamais dâoù il vient. Cet homme qui se sent apatride les jours de déprime et citoyen du monde les jours où ça pétille nous délivre ici une magnifique leçon dâhumanité.
Sophie R ÃVIL,
productrice
1 . Le Cerveau dâHugo , documentaire-fiction coproduit avec France 2.
En guise dâintroduction
Pourquoi les livres ont-ils souvent une introduction ? Je nâen sais rien. Jâai participé, fin 2008, à un colloque à lâuniversité de Tallinn entièrement consacré au sujet. Et, à vrai dire, je nâen sais pas davantage depuis ! Mais, alors que jâécris les premières lignes de ce livre, le souvenir de ce déplacement dans cette partie du monde mâenvahit comme une forme dâintroduction vivante : une nuit glaciale de décembre à peine interrompue par quelques lueurs du midi, une langue non indo-européenne si intrigante, toute une découverte qui allait donner naissance à un deuxième voyage, un peu plus long, et à de nombreux autres. Aujourdâhui, à lâheure où mes pas me mènent ailleurs, par-dessus les images des trottoirs de la vie, je vois toujours et encore celles de la vieille ville de Tallinn, des paysages de Livonie et de Courlande. Un rêve telle une petite histoire de lâautisme en quelque sorte imprévue, inhabituelle, bref, vécue.
(Dé) finissons avec lâautisme
Avec lâintroduction, les ouvrages doivent se livrer à un autre exercice : définir leur sujet. Ou objet, je me perds toujours entre les deux termes, explications et étymologies ne mâétant dâaucun secours. Quoi quâil en soit, comment pourrais-je définir lâautisme ? à renfort de citations issues de manuels médicaux ? De grandes affirmations péremptoires ? Une fois encore, je ne sais pas. Je peux tout au plus tenter dâavoir recours à la petite histoire, aux petites histoires des gens. Nâest-ce pas, après tout, ainsi que, sous la plume dâHérodote, naquit ce que nous nommons la grande histoire ? Laquelle, prenant un « H » majuscule, bientôt
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