Joséphine, l'obsession de Napoléon
alors propice.
En effet, les secousses secondaires causées par la Révolution s’y poursuivaient. Après la réaction thermidorienne et la répression du 13 vendémiaire, le sentiment royaliste avait repris des forces en cette année 1797. Les finances du pays ne s’étaient pas rétablies et leur état déplorable attisait le mécontentement général. Les élections destinées à renouveler les conseils avaient enrichi leurs rangs de députés furieusement anti-jacobins. La fréquentation des églises avait grossi, pour exprimer la révolte du peuple contre un gouvernement toujours aussi anticlérical, et l’on voyait dans les rues de nouvelles et singulières redingotes de drap gris ornées de dix-huit boutons, rappel convenu de l’existence du prétendant au trône, Louis XVIII.
Les députés divergeaient violemment sur le renoncement à la République de Venise, les modérés aspirant à mettre fin aux années de guerre tandis que les jacobins s’obstinaient à la poursuivre et rejetaient toute idée de paix avec les Autrichiens. Barras, de même que Reubell et La Révellière, flairèrent un nouveau coup royaliste en préparation et décidèrent de l’étouffer dans l’oeuf. Pour cela, ils avaient besoin de l’armée. Bonaparte en était alors le chef le plus prestigieux, bien qu’il fût loin de Paris.
Barras lui envoya le délégué de la République à Turin, François Miot, dont Joseph Bonaparte était l’adjoint, pour lui demander s’il soutiendrait une répression anti-royaliste comme celle de Vendémiaire. La teneur de l’entrevue fut inattendue. Quand Miot lui fit part de ses vues sur ce que devait être la République, Bonaparte s’écria :
— Quelle idée absurde ! Elle est impossible avec nos coutumes et nos vices. Les Français sont obsédés par l’idée d’une république, mais cela passera. En ce qui me concerne, mon cher Miot, j’ai goûté à l’autorité et je n’y renoncerai pas. J’ai décidé que, si je ne puis être le maître, je quitterais la France.
Miot fut estomaqué. L’ambition avait donc miné les convictions républicaines que Bonaparte affichait avec ostentation et elle faisait affleurer son autoritarisme naissant ; néanmoins, le général accorda son soutien et celui de l’armée d’Italie à la répression en gestation. Miot respira plus librement.
Sur quoi, le 22 août, Bonaparte quitta Milan pour Passeriano, résidence estivale des doges, où se poursuivaient ou plutôt traînaient les négociations avec les Autrichiens. Joséphine l’y rejoignit et s’inquiéta : il avait beaucoup maigri et son humeur était le plus souvent exécrable. Les Autrichiens savaient, en effet, Bonaparte pressé de signer le traité avant l’hiver, afin d’asseoir définitivement son prestige, et ils le faisaient languir à dessein, informés par leurs agents qu’il n’avait pas les coudées franches. D’abord, les jacobins, Barras en tête, voulaient continuer la guerre, ensuite un coup d’État royaliste menaçait ; s’il réussissait, Bonaparte serait probablement démis et privé de toute autorité.
Le point qui exaspérait le plus Bonaparte était sa divergence avec Barras sur le sort de la République de Venise. Joséphine fit alors de son mieux pour atténuer le désaccord entre les deux hommes, expédiant à son ancien amant missive sur missive chargée de protestations d’amitié. Elle dut prendre sur elle : à son arrivée à Passeriano, elle avait été informée de la liaison d’Hippolyte Charles avec une Italienne qui lui ressemblait, assurait-on, comme un reflet.
Beau reflet, en effet, de l’inconstance des amants.
Les lettres de Bonaparte étaient moins chaleureuses ; il menaçait une fois de plus le Directoire de tout planter là et de s’en aller, sans attendre l’arrivée d’un nouveau négociateur. Les nerfs décidément à bout, il menaça également les Autrichiens d’une invasion immédiate. Et, dans une séance particulièrement houleuse avec le représentant de la diplomatie autrichienne, le comte Ludwig von Cobenzl, il traita l’empire autrichien de
« vieille bonne habituée à se faire violer » et fracassa une théière de prix, cadeau de Catherine de Russie à Cobenzl, en criant :
— Voilà ce qui adviendra à votre monarchie !
Joséphine s’alarma : il semblait avoir perdu la raison. Déjà, lors d’un dîner réunissant les Français et les délégués autrichiens, lui et elle siégeant aux
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