Journal de Jules Renard de 1893-1898
excepté le perroquet qui parle.
Le pétrole allumé de ses yeux.
16 juin.
- Oui, dit-il : je l'ai échappé laide.
18 juin.
Les fils télégraphiques rayaient la lune, comme une lune à musique, au moment précis où, attendri, j'avais envie de chanter quelque chanson qui me serait venue du coeur.
S'obstiner à comprendre une tête d'épingle.
20 juin.
Des champignons comme des petits bancs.
Les êtres, formés des objets, qui nous regardent quand nous nous réveillons. Sans doute nous regardaient-ils dormir. Dès que nous ouvrons les yeux effarouchés, ils fondent, s'immobilisent et redeviennent choses inertes.
Un coq aux plumes flamboyantes comme un chef de Peaux-Rouges.
Les arbres, moutons de la forêt.
22 juin.
Décidément ce qui m'empêche d'admirer Barrès comme il faudrait, c'est qu'il n'a que quelques années de plus que moi.
Coppée et Theuriet, des rossignols de lettres, le mot étant pris dans son double sens.
Du bout de mes pieds qui dépassaient le confessionnal je frappais sur le sol, parce que j'avais mal aux genoux.
- Voyons, monsieur, dis-je. Vous êtes intelligent. Nous pouvons nous comprendre, entre hommes du monde.
Mais le vieux prêtre me dit :
- Ce n'est pas tout ça ! Êtes-vous chrétien, oui ou non ? Si oui, répondez-moi en chrétien, et non en journaliste.
Mourant, il prononça ces mots : « C'est aujourd'hui le jour de ma fête. »
Raoul Ponchon disait à Mme Steinlen, de sa voix douce et appuyée :
- J'avais lu L'Écornifleur, mais je ne croyais pas Renard comme ca. Il me plaît, oui. Ce garçon-là me plaît par des qualités que je lui prêtais si peu que je lui croyais plutôt les défauts contraires.
Ponchon, un poëte qui doit dire : « Les femmes sont belles, les hommes sont doux, le vin est bon et j'aime la vie de toute ma vie. »
- Ponchon, dit Courteline, habite depuis plus de vingt-cinq ans dans la même maison. Elle a été vendue plusieurs fois, et les différents propriétaires ont toujours stipulé sur l'acte de vente que Ponchon n'avait pas de loyer à payer, cela, sans qu'il l'ait jamais demandé.
Au moment où le condamné a la tête dans la guillotine, il devrait y avoir un silence avant que le couteau tombe. Un garde républicain sortirait des rangs et remettrait au bourreau une enveloppe et celui-ci dirait au condamné : « C'est ta grâce ! » Et il ferait tomber le couteau.
Ainsi le condamné mourrait dans la joie.
26 juin.
Baïe, voyant couper les cheveux de Fantec, dit : « Oh ! qu'il a la tête sale ! » Elle prenait pour de la saleté les cheveux qui tombaient.
29 juin.
A Schwob sur Le Livre de Monelle.
- Mon cher ami, j'ai lu Le Livre de Monelle avec une scrupuleuse minutie. Il me semble que je suis très près de tout à fait comprendre votre art, et je crois bien que je pourrais en écrire une page amusante et épluchée. Ce petit livre me parait si « sorti » de vous qu'à certains moments je m'imaginais tenir votre âme enfantine et changeante au bout d'une pince. Si vous mourez avant moi, je demanderai à prononcer votre éloge.
Je me sens capable de le faire dignement.
Toutefois, les paroles de Monelle me troublent un peu. Je ne l'entends pas toujours. Elle m'échappe deux ou trois fois, et je lui en veux. Je lui ai donné quelques coups de crayon d'une main fâchée. Je tâcherai de revenir sur cette impression d'agacement. Une causerie avec vous m'y aidera. Je suis plus à mon aise au milieu de ses soeurs, qui toutes tiennent de l'oiseau, de la fleur et de la petite fille que nous avons aimée. Je les admire d'autant plus que, sur la fin, Monelle prendra encore plaisir à se dérober, à éviter ma pince, à mériter les bleus de mon crayon.
En résumé, votre livre est si ténu, si peu appuyé, que je l'abîme au courant de ma trop grosse plume. Ce que je vous dis plus facilement, C'est que Le Livre de Monelle m'a donné une joie rare, spéciale, et qu'il m'a pris, ces jours-ci, les meilleures de mes heures.
30 juin.
Je suis franc, moi, c'est-à-dire que je parle tout le temps d'une franchise que, malgré mes efforts, je n'arrive pas à m'approprier.
Qu'est-ce que la mâchoire d'âne de Samson au prix de la sienne ?
Un pas si vif et si menu qu'elle a sûrement plus de deux jambes.
Il faudrait pouvoir recommencer ses études avec son intelligence de trente ans.
Si elle était la femme du président de la République, elle voudrait tous les soirs coucher dans des draps neufs qui sortiraient de l'armoire.
Le misanthrope : le soleil ne sert qu'à
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