Julie et Salaberry
tour informer le général Prévost, posté encore plus bas sur la rivière, à la ferme Baker.
Avec sa longue-vue, Salaberry tentait dâestimer le nombre de soldats ennemis postés sur le chemin en attendant de donner le signal de lâassaut.
â Deux bataillons, dit-il à Juchereau-Duchesnay qui était à ses côtés. Là , celui de Hampton, et lâautre, celui de Izard. Ils sont entre deux et trois mille, assurément. Et je ne compte pas les hommes de Purdy positionnés sur lâautre rive.
Les hommes du capitaine Daly avaient commencé à livrer combat à ceux de Purdy qui avaient réussi à traverser les bois et se battaient farouchement. Les Américains avaient perdu une grande partie de leurs troupes qui sâétait égarée dans la forêt.
Finalement, lâarmée du général américain Hampton sâébranla.
â Ferguson, vous êtes prêts?
Salaberry donnait ses ordres en français, contrairement à lâusage dans lâarmée britannique.
â Prêts, colonel!
â Les clairons? demanda-t-il à son beau-frère Juchereau-Duchesnay.
â Ã votre signal, colonel.
â Ferguson, dit-il au capitaine des Fencibles posté devant lâabattis, à vos armes!
Le capitaine Longtin se jeta à genoux, fit le signe de la croix et une courte prière, imité par ses miliciens.
â Nous avons fait notre devoir envers Dieu, il nous reste à accomplir celui que nous avons envers notre roi, déclara-t-il en se relevant.
Derrière lâabattis, les voltigeurs Godefroi Lareau et Louis Charland se signèrent à leur tour. Ils entendaient tout ce que disaient les officiers. Autrement, il régnait un silence étrange, presque solennel. Sanglés dans leurs uniformes, chacun son arme à la main, les Voltigeurs attendaient le signal, la peur au ventre. Lâinstant fatidique approchait et tous les regards étaient dirigés vers Salaberry qui examinait fébrilement la position ennemie avec sa longue-vue. Soudain, son cri retentit:
â Feu!
Les fusils des Fencibles se déchaînèrent, coup après coup, et le devant de lâabattis se couvrit dâun écran de fumée, donnant aux Américains lâillusion dâun grand nombre de combattants. De lâautre côté de la rive, on tirait également. Les balles fusaient de partout.
â Daly! Brugière! cria Salaberry. à vos baïonnettes! Allez-y, à lâassaut! Faites sonner les clairons!
Immédiatement, des appels sonnant le rassemblement résonnèrent de partout, ce qui renforça chez lâennemi lâidée de troupes plus nombreuses quâelles ne lâétaient en réalité.
â Lamothe, au tour de vos Sauvages!
Une vingtaine dâIndiens sous les ordres du capitaine Lamothe se mirent à proférer leurs cris de guerre, remarquables de férocité. Le regard de Salaberry montra un instant sa satisfaction, puis il se concentra sur lâaction. Il se déplaçait sans cesse, était partout à la fois, inlassable. Les ordres se donnaient en français, pour confondre lâennemi qui pouvait entendre. La voix de Salaberry agissait à la manière dâun envoûtement, guidant la main de chaque combattant.
Godefroi et Louis chargeaient leur fusil, tiraient, laissaient la place à celui qui était derrière, attendaient un peu, rechargeaient, et tiraient de nouveau. Ils ne sâappartenaient plus, ne savaient plus sâils avaient peur ou non. Ils avaient abdiqué toute volonté et faisaient corps avec les autres face au danger. Officiers et soldats, ils étaient tous des camarades qui défendaient chèrement leur vie. Câétait un état dâexaltation extraordinaire et lâespace dâun instant, Godefroi se dit quâaussi longtemps quâil vivrait, jamais il ne lâoublierait. Il hurla, arma son fusil et tira.
â Le capitaine Daly est tombé, lui apprit Charland qui venait de lâentendre dire.
â Il nâest que blessé, répondit Godefroi. Ãa joue dur de ce côté-là , mais on lâche pas, mon Louis.
â Ouais, clama son compagnon en rechargeant son arme en tremblant.
Les hurlements des Sauvages qui exaltaient le courage de Godefroi produisaient lâeffet contraire chez Louis. Les effroyables cris de guerre lui glaçaient les
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