Julie et Salaberry
sâen offusquait pas. Même sâil ironisait, le beau Viger participait activement à la milice de Montréal et nâhésiterait pas à sâengager.
â Pour ma part, je nâai aucun goût pour la chose militaire, répondit le notaire de Chambly à son ancien confrère de collège. Malheureusement pour moi, jâai bien lâimpression que je nâaurai guère le choix et ferai partie des conscrits. Surtout que je suis célibataire. Attendons de voir ce que nos stratèges nous réservent.
â Jâespère que tu tâengageras, comme nous tous. Nâoublie pas, cher notaire, que lâhonneur de notre classe est en jeu et quâil nous faut montrer lâexemple au peuple.
Jacques Viger renchérit:
â Ma parole! Mes amis, rappelez-vous que dans vos veines coule le sang de nos valeureux ancêtres français, les braves des régiments de Carignan et des troupes franches de la Marine, qui nâont jamais connu la peur.
â Tu parles de la guerre comme un curé, toi qui ne crois ni à Dieu ni à diable, se moqua son cousin Louis-Michel. Tu sais quâil meurt dâenvie de se faire donner du capitaine, ajouta-t-il à lâintention de René, dâoù ses courbettes devant Salaberry.
â Bah! Nous verrons bien comment tout cela se terminera, dit Jacques Viger.
â Au fait, demanda Louis-Michel à Jacques, as-tu reçu dernièrement des nouvelles du cousin Papineau?
â Oui, il sâest enfin trouvé une chambre à Québec. Tu peux lui écrire chez le marchand Pierre Bruneau.
â Jâai eu le plaisir de le voir à Chambly en janvier, rappela René.
â Et lâune de tes sÅurs, la belle brune, a battu des cils en le voyant, mâa rapporté ma cousine Rosalie.
â Ce que les rumeurs peuvent propager dans ce pays est tout simplement prodigieux, fit René dâun ton vague. Et je te prie dâêtre respectueux en parlant de ma sÅur.
â Alors, parlons plutôt de toi, sieur Boileau, apostropha Louis-Michel Viger, le ton plein de sous-entendus. Quelle est cette mystérieuse affaire qui procure à tes vieux amis la joie de te voir à Montréal, endroit de perdition où tous les chats sont gris la nuit, et, par conséquent, fort dangereux pour les notaires de la campagne?
â Justement, si lâaffaire est mystérieuse, câest quâelle doit demeurer secrète, répondit René.
â Ah! le taquina Jacques Viger, je sens quâil sâagit dâamour. Ainsi, notaire, au-delà de la sagesse que vos meilleurs amis vous prêtent, vous cachez une âme butineuse auprès de la gente féminine?
René eut un sourire évasif. Lâamour! Il nây avait rien de tel entre Lisette et lui, sinon une tendre affection entre deux êtres qui éprouvaient du plaisir à se rencontrer au lit.
â Messieurs! dit-il à ses compagnons en levant son verre, buvons aux dames qui agrémentent nos vies.
Les trois hommes se mirent à rire et entamèrent le repas en conversant joyeusement, laissant libre cours au plaisir de leurs agapes amicales, et largement arrosées bien entendu, par les vins français de la cave du Montreal Hotel .
De son côté, Salaberry était retourné à sa table, visiblement contrarié.
â Voulez-vous me dire ce qui vous a pris de vous attaquer à ce pauvre notaire? lâinterrogea Rottenburg.
En rougissant, Salaberry émit de vagues paroles de mécontentement sur le fait que le «petit notaire» courtisait mademoiselle de Rouville.
â Et vous vous demandez encore si vous êtes amoureux? sâesclaffa le général. Mon cher ami Gun Powder, je nâai quâun conseil à vous donner: retournez à Chambly pour conquérir votre belle. Je dirais même que câest un ordre de votre général!
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Chapitre 11
Les nouvelles de Québec
La maison du marchand Pierre Bruneau était avantageusement située sur la place du Marché, à deux pas de la petite église Notre-Dame-des-Victoires, dans la Basse-Ville de Québec. Son magasin, qui occupait tout le rez-de-chaussée de lâédifice, était un endroit fréquenté. Louis de Salaberry poussa la porte avec la familiarité dâun habitué.
â Madame Bruneau, je vous offre le bonjour, dit-il aimablement, Ã lâintention
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