La Cabale des Muses
sa réponse, le regard perdu dans les restes grisés d’une bûche calcinée. Puis, ses prunelles sombres se fixèrent sur le ceinturon de Géraud et la garde de son épée. Enfin, elles remontèrent et le scrutèrent comme si la baronne le soupçonnait d’un double jeu. Il s’efforça de lui sourire. Son masque s’assouplit et se détendit un peu.
— Monsieur, veuillez rapporter à Sa Majesté Louis XIV que je serai… honorée de lui confier l’éducation militaire de mes chers fils. Ils sont ce que j’ai de plus cher au monde et seuls me rattachent encore à cette vie.
Lebayle se leva, heureux de s’en tirer à si bon compte, sans avoir une seule fois – sujet de discorde probable – évoqué le capitaine des mousquetaires.
— Madame la baronne, je vous remercie de m’avoir accordé cet entretien. Dès l’aube, je reprendrai la route pour rapporter votre approbation à Sa Majesté. Les modalités seront établies avec votre accord par une délégation que dirigera le duc de Montfranc.
Elle agita une clochette. L’intendant reparut presque aussitôt, à croire qu’il campait derrière la porte !
— Gaspard, vous raccompagnerez monsieur à qui nous souhaitons bonne route.
— Mes hommages, madame la baronne.
Le commissaire salua et se retira. Elle ne lui avait proposé ni de se désaltérer, ni de se restaurer. Encore moins l’hospitalité pour la nuit ! Toutefois, il n’était pas fâché de la brièveté de cette rencontre. Jurance mâchouillait son mors. Le dénommé Gaspard s’en retourna sans un mot vers sa maîtresse qui, d’un signe, lui avait indiqué qu’elle voulait lui parler. Il repoussait le vantail tandis que l’estafette soulagée s’éloignait.
— N’avez-vous rien remarqué de particulier chez ce jeune homme ? lui demanda-t-elle.
Par la fenêtre, il surveilla le cavalier jusqu’à ce qu’il franchisse la ligne des arbres.
— Allure fringante, assurance du port de tête… Parlez-vous de cette garde d’épée, à la coquille reconnaissable entre toutes, madame ?
— Nous sommes d’accord. Était-ce l’un de ses mousquetaires ? Son lieutenant ? Un opportuniste ?... Un informateur de ce La Reynie ? Faites le nécessaire pour régler cette affaire.
— À vos ordres, madame. Comptez sur moi.
Un rictus carnassier dans lequel on reconnaissait davantage le garde-chasse illumina le visage glabre de l’intendant qui s’éclipsa prestement. Les distractions devaient être rares dans ce coin de campagne.
*
Géraud Lebayle s’était installé, comme à son habitude, au fond de la salle, face à la porte de l’auberge, bien qu’aux lamentations de la vieille hôtesse, il ne risquait pas d’être importuné. L’établissement ne recevait pas plus de deux voyageurs par semaine dans ce village isolé et elle n’avait guère les moyens d’entretenir son unique servante. Quant au cuisinier, c’était son benjamin qui était aussi éleveur de cochons et fossoyeur. La vie était rude pour le petit peuple écrasé par le coût des guerres ; et la venue de l’austère châtelaine n’avait pas attiré les visiteurs.
Géraud subit la logorrhée de l’ancêtre, répondant entre deux bouchées par des onomatopées qui, sans entretenir le feu de la conversation, ne parvenaient pas à enrayer le monologue. La nourriture – il le reconnaissait – était goûteuse et en quantité suffisante ; il se garda bien d’aller visiter les cuisines où l’on se coupe assez souvent l’appétit. Le sol de dalles disjointes l’avait un peu rebuté au premier coup d’œil, cependant la petite chambre qu’on lui avait présentée à l’étage, à côté d’un dortoir de six lits, semblait entretenue, et les draps de grosse toile assez propres… à trois pas de distance. Il ne fallait pas se montrer trop exigeant pour une nuit, s’il parvenait à dormir sans être tourmenté par des ronflements, des odeurs pestilentielles ou des parasites.
La servante, jeune encore mais si lasse, lui apporta un morceau de tomme sèche et remporta le plat vide de cochonnaille et de chou, mets qui se justifiait par le deuxième métier du cuistot. Le menu ne variait sans doute pas beaucoup au long de l’année. Le vin local, clairet, n’était pas désagréable et ne lui tournerait pas la tête. Il avait rencontré pire !
Lorsque les deux hommes entrèrent, son instinct le mit aussitôt en alerte, d’autant que s’interrompit la litanie de la vieille qui chercha à
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