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La Cabale des Muses

La Cabale des Muses

Titel: La Cabale des Muses Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gerard Hubert-Richou
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le sens du paragraphe, replongeait à l’abordage du psaume suivant.
    Ses lèvres modulaient les sons qu’elle se susurrait ou scandait en sourdine telles des formules magiques. Elle s’initiait à la connaissance avec hargne et ténacité pour que ses professeurs ne puissent lui adresser que des satisfecit sous les regards envieux des ignares et des paresseux, au risque d’attiser les ressentiments et provoquer de basses vengeances. Mais ainsi, le studieux élève Gautier se plaçait-il sous la haute protection de maître Affinius.
    « Vos enfants, comme de nouveaux plants d’oliviers, environnent votre table.  Filii tui ficut novella olivarum in circuitu menfœtuœ . »
    Ses yeux commençaient à papilloter. Les lignes ondulaient et se croisaient, les lettres se mélangeaient et d’autres mots se substituaient à ceux du texte. D’autres mots qui avaient aussi leur sens propre, mais pas leur place dans la phrase. Ce qui signifiait qu’avec les mêmes lettres il était possible de forger d’autres termes ! « Bien-béni, voisin-vision, nier-rien-rein… » Grand Dieu !
    C’était encore plus magique car la langue, avec une vingtaine de petits signes cabalistiques, était riche de centaines et de milliers de mots ! Davantage, peut-être ! Il était donc possible de transcrire tout ce que l’on disait avec précision…
    Subjuguée, Lisa resta bouche bée. Un cyclone tourbillonnait dans sa petite cervelle inculte que le soc d’une charrue invisible creusait de sillons en arabesques : des serpents de s entrelacés, des g en forme de nourrissons emmaillotés, des o tout ronds de surprise, des e, é, è bêlant, des m et des n qu’elle entendait caracoler sur leurs petites pattes, taca-tac… C’était étourdissant. Et la somnolence s’en mêlait, la faisait dodeliner et…
    Lisa se redressa brusquement : les crissements sur le gravier, ce n’était pas que le fruit acidulé de son imagination ! Elle tendit l’oreille : le visiteur nocturne était de retour ! s’efforçant d’alléger sa démarche pataude de géant aux énormes bottes de postillon 1 .
    La gamine tressaillit. Quelle heure pouvait-il être ? Elle referma son livre, trottina jusqu’à la fenêtre. Sous son vaste couvre-chef habituel, elle reconnut la silhouette monumentale au manteau en ailes de corbeau, presque de saison désormais. L’homme se dirigeait vers… Mais une autre forme humaine se dégagea des ombrages doublés de ténèbres, presque aussi haute et cependant moins massive. Le premier signifia au second d’avancer promptement. Ils disparurent à l’angle de l’aile où se trouvait le cabinet du philosophe.
    Lisa plissa les yeux à la recherche d’une troisième figure attardée qui ne se présenta pas. Elle se détourna, posa le livre relié au cuir râpé sur son lit, saisit la poignée de la porte. Follette, qu’allait-elle entreprendre sans réfléchir ?... Quelque chose qui ne la concernait pas, mais qu’aiguisait sa curiosité… l’appointissait et lui aiguillonnait le creux des reins. Non, ce n’était pas raisonnable… Combien de temps pourrait-elle résister à cette démangeaison ? Elle savait par où se faufiler pour capter des bribes de phrases qui, à trois voix, seraient sans doute moins confidentielles. Mais qu’en comprendrait-elle ? Qu’en retiendrait-elle ?...
    Elle prit une sage décision, se glissa dans le couloir et trotta à l’opposé du cabinet, effleurant le mur du bout de ses doigts, en aveugle. L’escalier aux dalles froides… l’amena au premier. Elle ne devait pas se tromper de porte, hésita, revint en arrière, refit le parcours pour confirmer son choix. C’était bien celle-là. L’oreille collée au panneau, elle creusa le silence intérieur, ne décela rien de particulier, sinon le gros bourdon de son petit cœur cahotant. Elle gratta à la porte tel un serviteur de maître… gratta plus fort, s’impatienta, toqua, déclenchant enfin une réaction à l’intérieur, les protestations d’un bois de lit, puis plus rien. Elle insista encore.
    — Qui est-ce ? bredouilla la voix empâtée de Jean-Charles.
    Jean-Charles du Cauzé de Nazelle, pensa-t-elle. Quel nom ! En avait-on besoin de tant ?
    — Gautier, eut-elle la présence d’esprit de répondre après cet aparté.
    La porte s’ouvrit. À la lueur malmenée d’une chandelle, un mousquetaire décoiffé, en chemise froissée et jambes nues manquait de prestance, mais demeurait toutefois un bel

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