La campagne de Russie de 1812
Moscou
qui étonnera le monde !...
Sébastiani
a beau lui peindre une nouvelle fois l'état lamentable dans
lequel est plongée l'armée, l'Empereur réplique
:
– Il est
affreux, je le sais. Dès Vilna, il en traînait la moitié
aujourd'hui ce sont les deux tiers, il n'y a donc plus de temps à
perdre. Il faut arracher la paix et elle est à Moscou.
D'ailleurs cette armée ne peut plus s'arrêter ; avec sa
décomposition et dans sa désorganisation, le mouvement
seul la soutient. On peut s'avancer à sa tête, mais non
s'arrêter ni reculer : c'est une armée d'attaque, non de
défense, une armée d'opérations et non de
positions.
*****
Le mardi 25 août,
après une semaine de séjour – encore huit jours
de perdus – Napoléon laisse six mille hommes à
Smolensk et quitte la ville pour Dorogobouje, en répétant
:
– Le péril
nous pousse vers Moscou !
Et les troupes,
aussi inconscientes que leur maître, lui répondent par
ce cri :
– À
Moscou !
Et l'avance
française ainsi que le recul russe reprennent ! Chaque matin,
Napoléon monte l'un de ses chevaux. Tantôt Léonora,
tantôt Roitelet, tantôt l'Embelli, Émir, Tauris ou
Courtois. La route de Moscou est large. L'infanterie et la cavalerie
marchent en deux files sur les bas-côtés, l'artillerie
et le charroi roulent au milieu. À mesure que Napoléon
arrive à la hauteur des divers corps, ceux-ci s'arrêtent
et se rangent en bataille, les tambours battent aux champs, les
aigles de la Grande Armée s'abaissent, des acclamations
prolongées se font entendre. Il n'y a que la Garde à
qui il est interdit d'accueillir l'Empereur par des « vivats »
car, entourant sans cesse sa personne, « ce cri serait
devenu trop fréquent, et pour ainsi dire banal »...
Qu'il fasse
glacial ou étouffant, la Garde marche en rang impeccable.
« J'ai vu ces soldats aguerris avancer devant moi au pas
de marche, racontera le capitaine von Lossberg, et je pouvais ainsi
constater l'habileté et la légèreté avec
laquelle ils défilaient et portaient leurs fusils et leurs
paquetages. » On traverse des villages brûlés
par l'armée tsariste en retraite : « Nous ne
trouvions presque partout que la désolation
la plus complète et des décombres fumants »,
nous rapporte un témoin. « L'accrochage avec
l'arrière-garde russe a lieu tous les jours à peu
près entre 3 et 4 heures, précise le lieutenant
Coignet. Nous entendions le canon pendant une demi-heure environ et
nous passions ensuite par l'endroit où l'escarmouche avait eu
lieu. »
Le vendredi 28
août, Napoléon arrive à Viasma, déserte et
détruite, elle aussi par les flammes.
En entrant dans la
ville où le désordre règne, Napoléon
s'irrite violemment en voyant le pillage qui se donne libre cours. Il
pousse son cheval – Turcoman – au milieu d'un groupe de
soldats, frappe les uns, culbute les autres, fait saisir un vivandier
et ordonne qu'il soit à l'instant jugé et fusillé.
« Mais, nous rapporte encore le comte de Ségur, on
se contenta de placer, un instant après, ce malheureux à
genou sur son passage, on mit à côté de lui une
femme et quelques enfants qu'on fit passer pour les siens.
L'Empereur, déjà indifférent, demanda ce qu'ils
voulaient, et le fit mettre en liberté. »
L'armée
souffre toujours de la fatigue, de la faim et de la soif. « On
se dispute quelques bourbiers, raconte le comte de Ségur, on
se bat près des sources, bientôt troublées et
taries ; l'Empereur lui-même doit se contenter d'une boue
liquide... »
Napoléon
apprend que le gouvernement du tsar se vante d'avoir remporté
des succès et affirme que la perte de si nombreuses provinces
« est l'effet d'un plan général de retraite
adopté à l'avance ». Des gazettes saisies à
Viasma certifient qu'à Saint-Pétersbourg on chante des Te Deum pour les prétendues victoires de Vitebsk et de
Smolensk ! Napoléon s'écrie :
– Hé
quoi ? Des Te Deum ! Ils osent donc mentir à Dieu comme
aux hommes !
Sans doute,
l'Empereur, au lieu de se battre, préférerait recevoir
un parlementaire. Ce 28 août, il a tressailli véritablement
d'espoir – il se trouvait alors dans un châ teau
situé non loin de Viasma, le château de Rouibkoé
– en recevant un aide de camp de Barclay de
Tolly venu lui parler de la disparition du comte Orlov. Avait-il été
fait prisonnier ou était-il mort ? Napoléon lui répond
que le jeune officier avait été pris le 20 août à
Valoutina. Après
Weitere Kostenlose Bücher