La chambre du diable
capturés ? voulut savoir
Athelstan.
– C’est moi qui les ai pris, précisa Sir Maurice.
Ils sont cinq, ou du moins ils étaient cinq : Vamier, Gresnay, Routier, Maneil
et Serriem. Ils étaient capitaines, lieutenants et maîtres de deux grandes
cogghes de guerre : le St Sulpice et le St Denis. Nos
bateaux chargés de vin en provenance de Bordeaux s’étaient engagés dans la
Manche. La coutume veut que certains débarquent une partie de leur cargaison à
Calais et traversent en hâte le pas de Calais en direction de Douvres. Le St
Sulpice et le St Denis les attendaient.
– Et que s’est-il passé ? questionna le
dominicain.
– J’étais alors à Douvres, continua le jeune
homme, à la tête d’une grande troupe de chevaliers, d’éclaireurs, de soldats et
d’archers. Nous disposions de quatre embarcations conduites par un bateau de
guerre, l’Edouard le Grand. Le gouverneur du château de Douvres avait
appris que le St Sulpice et le St Denis guettaient nos bâtiments.
Nous avons donc pris la mer. Le combat fut long et sanglant : le St
Denis a été coulé et le St Sulpice arraisonne.
Athelstan saisit son écritoire et en noua la corde.
– C’est presque un miracle, remarqua-t-il. D’où
le gouverneur du château de Douvres tenait-il ses ordres ?
– D’un courrier venu de Londres. Le message était
imprécis. Il disait simplement que nos bateaux de vin quitteraient Calais et
que des pirates français croisaient dans la Manche.
– Remarquable coïncidence, commenta le coroner, qui
se leva en soufflant et en ahanant.
– Que voulez-vous dire ? l’interrogea son secrétaire.
– J’ai eu les mêmes soupçons, intervint Sir
Maurice. Le St Sulpice et le St Denis sortaient d’un port
français. Ils devaient être préparés et approvisionnés pour la haute mer.
Il haussa les épaules.
– Il était de notoriété publique que le régent disposait
d’un espion dans le camp français, chargé de lui envoyer des nouvelles à ce
sujet.
– Et à présent les capitaines français ont des
soupçons, n’est-ce pas ? avança Athelstan.
– Peut-être.
Sir Walter se frotta les mains, heureux que la
suspicion s’oriente vers quelqu’un d’autre.
– Cela aurait fort bien pu provoquer de l’animosité
entre les prisonniers, déclara-t-il, les yeux brillants, s’ils ont cru que l’un
d’entre eux, Serriem par exemple, était le traître !
Sir John lui tapa sur l’épaule.
– Et vous, Sir Walter ?
– Je lis dans vos pensées, dit ce dernier avec un
haussement d’épaules qui fit glisser la main du coroner. Ne vous inquiétez pas,
Sir John, je l’ai pensé dès que j’ai appris que Serriem était mort. Voilà le
vieux Limbright, un homme qui hait les Français, qui ont tué sa femme et ses
fils et ont rendu sa fille folle. Quelle merveilleuse occasion de se venger !
Il tambourina du bout des doigts sur son poignard.
– Mais je ne voulais pas qu’ils meurent, Sir John.
Je voulais seulement qu’ils soient captifs. Je voulais qu’ils éprouvent ce que
j’ai ressenti : qu’ils se languissent de leur famille comme moi, qu’ils
tournent en rond dans une pièce et souffrent de la douleur de la séparation.
Il se campa devant le coroner. Athelstan aperçut les
taches rouges dont le courroux marquait ses pommettes.
– Et si j’avais l’intention de les supprimer, Sir
John, je le ferais d’une façon honorable. Je suis peut-être le chevalier au
pourpoint sale, sur le déclin et amer, mais ce serait épée contre épée ou lance
contre lance et non le poison au cœur de la nuit.
– Bien dit ! Bien dit ! commenta le
dominicain.
– Et le corps ?
– On l’enterrera dans quelque cimetière ! répondit
Sir Walter d’un ton coupant. Et si les Français veulent le récupérer, ils
devront payer !
– Il faut que je vous quitte, l’interrompit le
médecin.
Aspinall salua et s’en fut en silence.
Sir Walter attendit que le bruit de ses pas se fût
éteint.
– Voilà un homme, murmura-t-il, sarcastique, qui
pense qu’un discours franc et direct cache moult péchés.
– Ce qui signifie ? s’enquit Athelstan.
– Que notre bon médecin est ce qu’il prétend être
mais qu’il aime visiter Hawkmere.
– Assez de vos sacrées devinailles ! rugit
Sir John.
– Aspinall est célibataire ; il aime bien le
jeune Gresnay.
– Vous voulez insinuer qu’il aime les hommes ?
– Je n’ai point dit ça, Sir John. Mais Serriem
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