La chambre du diable
dressaient de grandes maisons de
brique rouge à la base et au colombage noir et hourdis blanc aux étages. Les
pignons étaient décorés, leurs contours dorés, les portes solidement fixées. Des
pots de fleurs pendaient aux murs et les jardins qui s’étendaient devant les
demeures embaumaient l’air. Le soleil brillait et scintillait sur le verre des
fenêtres à meneaux dont quelques-unes, colorées, étaient ornées de devises
héraldiques.
Le plus opulent des logis, celui de Sir Thomas, campé
au milieu de son propre terrain, s’agrémentait de deux petits pommiers bordant
l’allée menant à une porte peinte avec goût. Les clous de fer qui l’égayaient
luisaient et le grand heurtoir de cuivre représentait un chevalier joutant lors
d’un tournoi. D’énormes vasques d’herbes aromatiques posées sur du charbon de
bois encadraient l’huis. Une fumée odorante montait en volutes comme l’encens
dans une église. Des hommes d’armes déambulaient de chaque côté de la demeure :
coquins de la ville, loués par le riche marchand, ils portaient sa livrée, leur
justaucorps blanc arborant un poing gantelé serré sur une épée. Ils restèrent à
distance devant l’air menaçant du coroner.
– Je n’aime pas ces bougres-là ! grommela le
magistrat. Ce sont de petites armées privées. Regardez-les, mon frère, ils ne
peuvent se dispenser de tripoter épée et dague. Trop de viande rouge et trop
peu d’ouvrage, ils sont toujours en quête d’une querelle.
Athelstan les inspecta brièvement. C’étaient des
citadins aux chausses étroites et aux bottes à hauts talons. Ils étaient bien
armés : certains avaient même des arbalètes et de petits carquois de carreaux
fixés à leur ceinturon en cuir.
Sir John souleva le heurtoir qu’il laissa retomber à
grand bruit.
– Ça m’amuse ! murmura-t-il.
Il recommença. La porte tourna sur ses gonds.
– Que voulez-vous ?
– Comment vous appelez-vous ? aboya le
coroner.
– Ralph Hersham, au service de Sir Thomas Parr.
– Je suis Cranston, coroner du roi. Place, à présent ! Laissez-moi
entrer !
CHAPITRE VI
On les
introduisit dans la salle la plus luxueuse, aux murs lambrissés de chêne. D’épais
tapis de laine recouvraient un dallage de pierre d’une parfaite blancheur. Un
lustre à chandelles pendait du plafond d’un blanc immaculé. Sur les meubles
élégants disposés autour de la pièce se trouvaient des vases de fleurs. Chaires
et sellettes formaient un demi-cercle autour de la cheminée monumentale. Il n’y
avait pas de feu et la grille de l’âtre était propre et rutilante. Sur des
étagères, au-dessus du manteau, chatoyaient des pots en or, en argent et en
étain. Les fenêtres, dont on avait attaché les volets par des rubans écarlates,
étaient décorées d’emblèmes héraldiques finement sculptés. Hersham leur fit
signe de s’asseoir sur le coussiège capitonné qui donnait sur la pelouse et les
petites plates-bandes qui bordaient la maison.
– Puis-je vous demander ce qui vous amène ?
Son visage émacié et cireux encore marbré de colère, Hersham
ne pouvait s’empêcher d’effleurer la garde de son poignard. Une vraie brute, pensa
Athelstan, un homme qui aimait fanfaronner dans les rues.
– Vous êtes donc l’écuyer de Sir Thomas ? demanda
Sir John en se frottant les mains puis en se détournant pour admirer un petit
rosier au centre du jardin.
« J’aimerais bien en avoir un, se dit-il. Comment
Parr les fait-il pousser ? »
Il fit face à Hersham.
– Eh bien ?
– Je suis le garde du corps et l’intendant de Sir
Thomas, répondit Hersham.
– Vous n’êtes point londonien, n’est-ce pas ?
– Je viens de la côte sud, Sir John.
– Bon, nous ne pouvons naqueter ici toute la
journée. Dépêchez-vous d’aller prévenir votre maître.
Si les yeux pouvaient tuer, le coroner serait tombé
raide mort à l’instant. Hersham quitta la chambre en claquant la porte derrière
lui.
– Je ne supporte pas ce genre d’individus ! maugréa
le magistrat entre ses dents. Dans mon traité sur le bon gouvernement de
Londres…
Athelstan se laissa aller contre le repose-tête. Il
ferma les yeux pour mieux savourer la brise fraîche provenant du jardin.
– Sir John, je vous en supplie, parlez bas et
gardez vos opinions par-devers vous jusqu’à ce que nous soyons repartis ! N’oubliez
pas que Parr n’a pas commis de crime ! Nous sommes ici pour
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