La chevauchée vers l'empire
khan se posa sur ces instruments puis croisa le regard de Yao Shu et montra
un calme impressionnant. Il avait décidé de prendre les soins du chamane comme
une épreuve de sa maîtrise de soi, le moine s’en rendait compte.
Le chamane fit claquer les tenailles, prit une longue
inspiration, regarda dans la bouche ouverte du khan et pinça les lèvres.
— Je ferai aussi vite que je peux, seigneur, mais je
dois extraire la racine.
— Fais ton travail, répondit sèchement Gengis.
Lorsque Kökötchu toucha la dent cassée, le chef des Mongols
serra les poings puis rouvrit les mains et les laissa pendre, aussi immobile que
s’il dormait.
Yao Shu regarda avec intérêt Kökötchu enfoncer les tenailles,
chercher un point d’appui. L’instrument glissa deux fois quand il exerça une
pression dessus. Avec une grimace, le chamane se tourna de nouveau vers sa
bande de cuir et choisit un couteau.
— Il faut que j’incise la gencive, seigneur, prévint-il
avec nervosité.
Yao Shu remarqua qu’il tremblait comme si sa vie était en
jeu. C’était peut-être le cas. Gengis ne prit pas la peine de répondre, ouvrit
et referma de nouveau les mains en luttant pour dominer son corps. Il se raidit
lorsque Kökötchu se pencha, enfonçant profondément la lame. Un jet de pus et de
sang emplit la bouche de Gengis, qui écarta le chamane pour cracher sur le sol
avant de s’allonger de nouveau. Il avait les yeux fous de douleur et Yao Shu
était impressionné par la force de volonté de cet homme.
Kökötchu enfonça le couteau une seconde fois, reprit les
tenailles et tira. Il tomba presque en arrière lorsqu’un long morceau de racine
sortit. Gengis grogna, cracha de nouveau.
— C’est presque fini, seigneur.
Le khan lui lança un regard furieux avant de se rallonger. Le
deuxième morceau de la dent vint facilement et Gengis se redressa en pressant
sa mâchoire douloureuse, la bouche bordée de rouge.
Djötchi avait lui aussi observé l’extraction mais en
feignant de ne pas regarder. Lorsque son père se remit debout, il se laissa
retomber en arrière sur son lit et fixa l’armature en bouleau du plafond de la
tente. Yao Shu pensait que le khan quitterait la yourte sans adresser la parole
à son fils et fut surpris quand Gengis s’arrêta et tapota la jambe de Djötchi.
— Tu peux marcher, non ?
Djötchi tourna lentement la tête.
— Oui, je peux marcher.
— Alors, tu peux monter à cheval.
Gengis remarqua le sabre à tête de loup que son fils gardait
toujours près de lui et l’envie le démangea de le prendre dans sa main droite. L’arme
reposait sur la peau de tigre, dont les doigts du khan caressèrent les poils
rêches.
— J’ai bien cru que cette bête te tuerait.
— Elle a failli, répondit Djötchi.
À son étonnement, Gengis sourit, découvrant des dents rouges.
— Mais tu en as triomphé. Tu commanderas un tuman.
Yao Shu comprit que le khan essayait de rebâtir les ponts entre
son fils et lui. Djötchi serait à la tête de dix mille hommes, un poste qu’on n’accordait
pas à la légère et qui témoignait d’une immense confiance. Pourtant, le jeune
guerrier répliqua avec dédain :
— Que pourrais-je attendre de plus de toi, seigneur ?
Le silence se fit dans la yourte. Gengis finit par hausser les
épaules et dit :
— Tu as raison, mon garçon. Je t’ai donné plus qu’assez.
Il fallut des jours au flot de chariots et de bêtes pour se
déverser de la montagne dans la plaine. Au sud et à l’est se trouvaient les
villes sur lesquelles régnait le shah Mohammed. Chaque femme, chaque homme du
camp avait entendu parler de l’affront fait à Gengis et du massacre de ses
émissaires. Ils étaient impatients de se venger.
Autour de la masse en déplacement, des éclaireurs
décrivaient de larges cercles. Les généraux avaient joué aux osselets le droit
d’emmener un tuman en expédition et c’était Djebe qui avait gagné en tirant
quatre chevaux. Lorsque Gengis l’apprit, il fit venir le successeur d’Arslan
pour lui donner ses ordres. Djebe avait trouvé le khan discutant avec ses
frères de la guerre à venir. Remarquant le jeune officier qui se tenait près de
l’entrée de la yourte, Gengis lui fit signe d’avancer puis reporta aussitôt son
attention sur les nouvelles cartes tracées au fusain et à l’encre.
— J’ai davantage besoin d’informations que de tas de
cadavres, déclara le khan. Mohammed peut faire appel à des
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