La complainte de l'ange noir
descendants ?
Lorsque Corbett le rencontra dans la grand-salle, Gurney ne lui fut pas d’un grand secours :
— J’ai entrepris des recherches, croyez-moi ! Alan n’a pas eu d’héritiers. Il a disparu à peu près à la même époque qu’Holcombe. Le père Augustin pourra sans doute vous aider, bien que les registres de mariages, baptêmes et enterrements n’aient pas été tenus avec toute la rigueur requise. Le prêtre précédent n’avait pas trop le sens de l’organisation !
Laissant à ses serviteurs le soin de fouiller le reste des affaires de Monck, Corbett sella son cheval et partit pour Hunstanton. On ne lui fit guère bon accueil : les villageois ne furent pas avares de regards torves et lui tournèrent le dos. Les femmes rentrèrent en hâte leur marmaille dépenaillée, et les paysans revenant des champs pour leur repas de la mi-journée le dévisagèrent avec hostilité en l’invectivant à voix basse.
Il trouva le père Augustin dans la petite sacristie, près du maître-autel, en compagnie du bailli Robert qui faisait également office de bedeau. Ce dernier jeta un coup d’oeil irrité à Corbett. Le prêtre, lui, fut plus aimable :
— Que puis-je pour vous, Sir Hugh ?
— Vous tenez les registres des baptêmes, mariages et enterrements, n’est-ce pas ?
— En effet. Nous essayons même d’y mettre un peu d’ordre. Pourquoi ? En quoi vous seraient-ils utiles ?
— Je veux retrouver la trace d’un villageois qui vécut ici il y a une centaine d’années. Un nommé Alan of the Marsh, un homme assez prospère.
— Et pourquoi ? s’interposa le bailli, yeux exorbités, lèvres pincées.
— Pourquoi pas ? rétorqua Corbett, agacé.
— Parce qu’il est de ma famille. C’est un de mes ancêtres.
— Est-il enterré ici ?
— Non. À vrai dire...
Le bailli, gêné, toussota.
— Ce n’est pas quelqu’un de ma famille directe. C’est mon arrière-grand-mère qui l’a épousée. Elle venait de Bishop’s Lynn. Mais Alan disparut presque aussitôt après leur mariage. Ils n’avaient pas d’enfants, aussi mon aïeule se remaria-t-elle. Le père Augustin peut vous le montrer dans les archives.
L’ecclésiastique s’était déjà dirigé vers un énorme coffre, renforcé de ferrures, placé au fond de la sacristie, dans un coin. Il fouilla son contenu et extirpa un grand registre, relié en cuir, et quelques parchemins qu’il étala sur la table. Le bailli ne faisait pas mine de quitter la pièce : il redressait les cierges et astiquait l’encensoir de cuivre. Corbett s’efforça d’ignorer sa présence lorsque le père Augustin ouvrit le registre.
De son doigt osseux, il désigna une mention à demi effacée, inscrite par un prédécesseur oublié : le 8 novembre 1215 Adele Holcombe contractait mariage avec Alan of the Marsh.
— C’est la seule mention, dit-il en refermant le registre.
Puis il prit des rouleaux de parchemin jaunis et fendillés.
— Voici le registre des enterrements des années 1215 à 1253.
Il déroula les parchemins et trouva mentionné l’enterrement d’Adele-atte-Reeve, née Holcombe.
— Et ceci, poursuivit-il en agitant un autre parchemin, est le registre des baptêmes.
Corbett et lui le parcoururent, mais ne trouvèrent aucune mention d’enfant d’Alan of the Marsh.
— La tombe d’Adele a-t-elle été profanée ? s’enquit Corbett.
— Je ne crois pas, répondit le prêtre en regardant le bailli. Robert ? À votre avis ?
Ce dernier fit signe que non.
— Une femme comme Adele aurait-elle facilement obtenu l’annulation de son mariage avec Alan pour se remarier ?
Le père Augustin s’assit à la table, les bras sur les accoudoirs de son siège.
— D’après la loi canonique, si un mari disparaît et s’il n’y a pas d’enfants, la femme peut demander l’annulation après cinq ans. C’est ce qu’a probablement fait Adele. Sir Hugh, veuillez excuser ma curiosité, mais pourquoi cet intérêt pour des personnes mortes depuis belle lurette ?
— Navré, mon père, je ne dois rien divulguer pour l’instant. Mais cela signifie qu’Adele savait qu’Alan était décédé.
— Pas forcément. Elle s’est peut-être trouvé un autre soupirant au bout de cinq ans et s’est adressée à l’évêque pour obtenir l’annulation. Le cas est courant.
Corbett regarda le bailli.
— Robert, puis-je vous poser une question ? Vous en penserez ce que vous voudrez. Dans votre
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