La danse du loup
roi, les armes des Lusignan, rois de Chypre et de Jérusalem, burelé d’argent et d’azur, au lion de gueules couronné d’or brochant. Les spectateurs applaudirent à tout rompre pour saluer son apparition à la senestre de l’enclos.
Lorsque le héraut d’armes annonça l’arrivée, à notre dextre, du chevalier Foulques de Montfort qui portait sur sa cotte d’armes les couleurs de sa propre maison, échiqueté d’or et d’azur, au franc-canton d’argent au lion de gueules , plusieurs sifflets émanèrent de la foule.
Le chevalier de Montfort se portait fort, déclara-t-il, de l’innocence de messires Bertrand Brachet de Born et Arnaud de la Vigerie, écuyers du baron de Beynac, sire de Commarque, accusés du crime de… de… forfaiture sur la personne de la princesse Échive, dit-il après avoir hésité un court moment sur le terme à employer.
De nouveaux hurlements ponctués de sifflets lancés par la foule, se firent entendre. Dès qu’une nouvelle sonnerie de trompettes déchira l’air, les clameurs cessèrent. Le héraut reprit :
« Le combat auquel les chevaliers vont se livrer sur l’heure, est un duel à la vie et à la mort. Un seul d’entre eux sera déclaré vainqueur. Si le chevalier de Sidon survit à ce combat, les deux écuyers seront empalés incontinent. Si le chevalier de Montfort gagne l’ordalie, ils seront déclarés innocents à tout jamais en vertu du jugement de Dieu. »
Tous les regards se portèrent sur Arnaud et moi. Nous étions enfermés dans des cages en bois munies de barreaux de fer, face au public. Nous faisions partie du spectacle. Nous en étions le clou.
De chaque côté de nos prisons, avaient été dressées deux potences fortement surélevées et munies d’un treuil. Les treuils enclencheraient la descente des deux sièges dans des trappes ménagées à cet effet.
Les sièges étaient percés en leur centre pour laisser coulisser un pieu immobile et solidement fixé sur une embase à même le sol. Leur pointe, taillée en biseau, était revêtue d’un coin en métal vivement acéré. Le pieu effleurait l’orifice du siège. Sans dépasser. Pour l’instant.
Si le chevalier de Montfort perdait l’ordalie, il y trouverait la mort. Les bourreaux nous saisiraient aussitôt pour nous attacher solidement sur chacun des sièges.
Puis ils rouilleraient lentement le treuil. Nos trônes descendraient progressivement dans la trappe ménagée à cet effet. Notre descente aux Enfers. Le pieu pénétrerait doucement, mais inexorablement par l’anus, déchirerait nos boyaux et nos intestins, nous arrachant des hurlades de douleur.
Notre visage se tordrait, se décomposerait, ivre de souffrance. Avant de se figer en un rictus monstrueux. Le sang maculerait notre chainse blanche. La chemise des condamnés. Celle dont on nous avait revêtus.
Une tache rouge s’élargirait d’abord à la hauteur de nos reins. Puis le sang nous saisirait la gorge. Il serait raqué par la bouche avant de baver et de dégouliner sur nos poitrines selon les pulsations du cœur.
Au moment où le pieu atteindrait notre col pour défoncer notre palais, l’effroyable descente aux Enfers cesserait. Notre vie aussi. Le siège s’immobiliserait. Nos pieds et nos jambes auraient été engloutis dans la trappe. Pour permettre aux spectateurs de jouir pleinement et jusqu’au bout du seul spectacle digne d’intérêt : celui de notre supplice. De la tête au cul. À la fin de notre agonie.
Le supplice du pal. La mort la plus ignominieuse qui soit. Devant une foule assoiffée de sang. Dire que nous étions livides, Arnaud et moi, serait faux. Nous étions verts. Moi, j’étais vert-de-gris. Vert de rage et blanc de peur.
« Oyez, oyez, bonnes gens : le courage des deux champions est émerveillable. Ils défendront au prix de leur vie une cause dont Dieu seul décidera si elle est de bon ou de mauvais aloi. Aucun des deux chevaliers n’est présumé coupable du crime qui est reproché aux écuyers. Ils ont grande valeur au combat.
« Que Dieu les saisisse en sa sainte Garde et rende son Jugement sacré. Le vainqueur de l’ordalie rentrera en tous les droits et bénéfices qu’il défend et pour lesquels il combat ce jour d’hui.
« La sentence divine aura force de jugement. Il ne pourra être fait aucun appel du jugement, sur l’heure ou à l’avenir, devant aucun tribunal, céans ou ailleurs en pays de chrétienté. Car ainsi
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