La danse du loup
chapelle des Hospitaliers. En présence du Saint-Sacrement. La chapelle avait été profanée par le sang versé et devrait être à nouveau consacrée.
Selon le rapport du chirurgien barbier qui avait procédé à l’analyse des tripes et des boyaux, on savait seulement que le chevalier avait perdu son sang et agonisé après avoir reçu un violent coup qui l’avait éventré de bas en haut jusqu’à la première cote. L’os avait bloqué la pénétration de la lame, plus haut vers le cœur. Ses doigts s’étaient refermés avec force sur ma bague et un début de rigidité du corps en avait rendu l’extraction difficile. Il avait fallu avoir recours à un instrument de chirurgie pour l’extraire en tranchant l’extrémité des doigts.
Le but du crime, à présent.
Qui pouvait avoir intérêt à occire le chevalier de l’Hôpital ? À première vue, seule la cinquième possibilité, celle d’un routier de passage, résistait à l’analyse.
Et si quelqu’un voulait m’empêcher, au prix d’un crime crapuleux, de prendre langue avec le chevalier de Sainte-Croix ? Dans un seul dessein : couper tout lien entre la famille des Guirande et ses armoiries ? M’interdire avant longtemps de faire sa connaissance ? Mais pour quelles raisons ? Quelle suspicion, quel terrible secret pouvaient bien peser sur icelle ou sur sa famille ? Au point d’assassiner un chevalier aussi généreux, un aussi grand savant ?
Dans de rares moments où j’étais clairvoyant, une petite voix, celle de la raison, me disait qu’Isabeau de Guirande n’était que le produit de mon imagination. Aussitôt après, une autre petite voix, celle du cœur, me soufflait le contraire.
Toutes ces supputations aboutissaient à une impasse lorsque je me posais une question, une seule question : qui avait pu subtiliser la bague d’or gravée à mes armes que m’avait offerte le baron de Beynac ? Où ? Quand ? Comment ? Si je continuais à tourner ainsi en rond, claquemuré, je risquais de devenir fol. Au point de m’interroger sur ma propre culpabilité !
Non, non, non et non. Rien ne concordait. Mon enquête débouchait sur un puits plus profond que la citerne du château. Je cherchais désespérément à me souvenir du moment où j’avais égaré ma bague frappée à mes armes. Plus exactement, à quel moment l’avais-je dégagée de mon annulaire ? La veille au soir, avant de m’étendre pour la nuit ?
Comme tous les soirs, je la posai sur la table de ma chambre, car elle me gênait : je croisais souvent les mains derrière la nuque avant de m’endormir. Une habitude qui remontait à mon enfance. L’avais-je oubliée le lendemain matin ? Cela s’était produit une fois ou deux.
Je reconstituai mes moindres faits et gestes à mon lever. J’aboutis à la quasi-certitude que je l’avais enfilée ce matin-là. Personne ne m’avait coupé le doigt – je m’en serais rendu compte, non -? Après le dîner, je n’avais pas souvenance de m’être assoupi au point de permettre à quelqu’un de l’extraire de mon doigt à mon insu. Alors ?
Lorsque nous étions parvenus à la taverne, ce jour-là, avant de nous asseoir sur le banc pour nous réchauffer les pieds et les mains, nous avions enlevé nos gantelets de maille.
Et si elle avait simplement glissé de mon doigt céans, à cet instant, et était tombée sans que je m’en fusse aperçu ? Réflexion faite, cette explication m’apparaissait comme étant finalement la plus plausible.
Quelqu’un l’avait-il alors remarqué ? À cet instant, ou plus tard lorsque nous avions quitté la taverne ? Un hôte de passage ? Le tavernier ? Il l’aurait conservé ou bien il aurait essayé qu’on lui en baille un bon prix. Elle valait son pesant d’or.
Il n’avait aucune raison de commettre ce meurtre. Un inconnu avait dû la dérober. Mais lequel parmi les suspects dont j’avais dressé la liste ? Nouvelle impasse. Je tournais en rond. Mais la chambre était carrée.
Étienne ? Il n’avait que des raisons de souhaiter longue vie au chevalier. Arnaud, ce n’était point impossible : s’il avait prémédité une telle félonie, il aurait pu en effet me l’emprunter n’importe quelle nuit, sans risquer que je le visse. Mais quel intérêt mon plus fidèle ami aurait-il pu avoir ? Impossible.
Tout compte fait, il me sembla préférable d’orienter ma réflexion vers la recherche d’un alibi plutôt que de tenter d’apporter une
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