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La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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donc pour la calmer, on
l'avait e m barquée
et c'en avait été fini d'elle. Louise avait-elle subi
le même sort ? Que lui avait-on donné pour qu'elle soit
aussi inerte ? Quel médic a ment
l'avait assommée et rendue à l'état de légume
?
    — Louise
! Louise ! fit-elle en la secouant. Tu m'e n tends
?
    — Laisse-la,
fit une autre prisonnière, je sens qu'elle va y passer.
    — Quoi
?
    Louise
venait de se soulever brusquement sur son bras à moitié
r e plié.
    — Moi, y passer
? Non mais tu ne m'as pas bien vue, toi ! J'ai tenu trois semaines
attachée aux fers, à la
camisole, ce n'est pas pour crever juste avant d'atteindre au but.
C'est demain qu'on arrive, non ? J'ai bien e n tendu.
    La
voix était faible mais Louise était bien vivante et
elle les rega r dait
avec cet air de malice qu'elle avait toujours eu au coin de l'œil.
    — Oui,
les filles. Ne faites pas cette tête d'enterrement, demain on
est toutes sauvées ! On va débarquer sur notre nouvelle
terre ! Pour une nouvelle vie !
    C'était
reparti. À peine arrivée, Louise parlait et parlait,
inlassabl e ment.
Elle parla toute la nuit jusqu'à l'aube, et les prisonnières
l'éco u tèrent
avec ferveur. Avec des mots pleins de couleurs, elle qui n'avait
jamais vu la terre de Guyane et n'en avait jamais entendu parler
ju s qu'au
jour où l'on était venu la chercher pour l'y emmener,
elle décr i vait
ses cocotiers et ses palétuviers, sa végétation
luxuriante, ses oasis pleines de fraîcheur et ses jolies
maisons coloniales au bord du fleuve Maroni. Son imagination était
sans limites. Elle parla de ces ind i gènes
à la peau de bronze noir qui glissaient silencieusement sur
les eaux dans de longues pirogues taillées à même
des troncs d'arbres i m menses
qui pou s saient
dans la grande forêt.
    — Là-bas,
disait-elle avec conviction, la nature est riche, on n'aura qu'à
se baisser.
    Allongée
sur son bat-flanc, elle alignait les clichés et répétait
des phrases entendues au h a sard.
On aurait dit un messie venu apporter dans la nuit du navire l'espoir
que les prisonnières, anéanties, n'atte n daient
plus. Bouche bée elles s'étaient rapprochées,
même les plus faibles, et s'étaient agglutinées
en grappe serrée, noires, impatientes. Elles buvaient les
paroles de Louise. Dans l'ombre terrible et la crasse où elles
avaient été parquées, ses mots leur faisaient
l'effet d'une source fraîche, intari s sable.
Avec elle c'était la vie qui revenait, et elles ne s'en
lassaient pas. Leurs cerveaux épuisés troublaient leur
lucidité. Elles auraient été inc a pables
de dire réellement ce qui allait advenir, leurs souvenirs
s'étaient brouillés, et même parfois eff a cés.
    Bien
s ur elles
allaient au bagne, bien sûr on leur avait dit que ce
n'était pas le paradis et même bien loin de là, sinon pourquoi
on les y aurait envoyées pour les punir
? Mais après
six longues semaines en mer enfermées dans
la nuit, leurs sens étaient altérés. Le réel était d e venu
flou, insaisissable. Tel un fantôme r e venu
du néant, Louise
leur ouvrait la voie du rêve et elles s'y e n gouffraient
avec avidité. Aussi quand
cette dernière, épuisée,
s'arrêta un court instant pour reprendre son
souffle, elles la s e couèrent
pour qu'elle continue.
    Et
après, insistaient-elles, tu dis qu'on aura des maisons, comment
seront-elles ?
    — -
Et de l'eau
? Il y aura de
l'eau ? faisait une autre, remplie d 'esp é rance.
Et
du linge ? Tu penses qu'on aura du linge ? Dis, Louise, dis.
Et
aussi un lit, avec un matelas ? Et des draps ?
    — Et
de la vaisselle, avec une vraie table pour ma n ger
?
    À
chacune Louise apportait une réponse. Bien sûr qu'il y
aurait une maison, du linge, des meubles. Il y en aurait même
tant qu'elles ne sauraient plus quoi en faire. Il y aurait aussi des
terrasses devant les ma i sons
avec des chaises pour prendre le frais le soir tout en dégustant
un de ces sirops extraordinaires que les i n digènes
fabriquent avec les fruits des forêts.
    Marie
buvait les paroles de Louise. Au fur et à mesure qu'elle
l'écoutait, elle aussi, comme les autres, elle revivait.
L'enthousiasme la gagnait et le rêve l'emportait sur la
ré a lité.
    — Et
des fleurs, dit-elle, est-ce qu'on pourra planter des fleurs d e vant
la maison ?
    Louise
sourit
    — Mais
bien sûr qu'on aura des fleurs, répondit-elle. Là-bas
elles poussent comme du chiendent Tu mets un plant en terre, et hop,
le m a tin
quand tu te réveilles, tu as la

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