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La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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fleur. Parfois le soir même. C'est
le climat II fait humide et chaud. Tout pousse. Mais pas comme chez
nous où tu es obligée de te br i ser
le dos à coups d'arrosoir pour une marguerite qui tient à
peine debout sur sa tige. Non, là-bas c'est du s é rieux.
La tige de la fleur est grosse comme un piquet, solide comme un roc.
Du sérieux je vous dis !
    Une
fleur à la tige solide comme un roc ! Perplexe, Marie imagina
d'énormes fleurs sur de grosses tiges. Elle se faisait une
autre idée des fleurs. Chez elle, en Béarn, les
vieilles femmes du village plantaient dans les jardins de longs
cosmos roses dont les tiges fines se cou r baient
gracieusement aux premiers vents d'Espagne. Il y en avait dans tous
les jardins le long des murets de galets gris. Les grands-mères
s'échangeaient les graines. M a rie
se demandait ce qui plaisait tant à ces vieilles femmes aux
visages raides et aux dos courbés, toutes de noir vêtues
sous leurs fichus noués, ce qui les faisait rêver dans
ces fleurs si fines et si légères. Leur jeunesse
év a nouie
? La grâce perdue ? Quand Marie rentrait des prés avec
les vaches, elle s'attardait à lorgner par-dessus les haies
des jardins, et elle observait les cosmos qui se b a lançaient
sous la brise, émerveillée, éblouie de leur
légèreté. Mo n taient
alors dans son imag i naire
tout un cortège de grâces plus douces les unes que les
autres. Ce n'étaient plus des fleurs qu'elle voyait, mais des
jeunes filles et leurs robes qui tournaient, belles, confiantes dans
leur jeune printemps. Et Marie rêvait. Un jour, elle aussi
aurait une belle robe et elle aussi danserait au vent — Ça
y est, il fait jour ! M a rie
quitta ses souvenirs. L'aube s'était levée sans que les
prisonnières s'en rendent compte. Aucune n'avait fermé
l'œil, elles étaient restées toute la nuit
suspendues aux récits de Louise. Aussi, quand sœur Agnès
vint les chercher pour les co n duire
sur le pont, s'attendant à des réactions de peur ou
même de panique, elle eut la stupéfaction de trouver des
femmes souriantes, balluchon à la main, prêtes à
entrer au p a radis
du bagne.

8
    On
les installa sur la dunette, pour qu'elles puissent admirer de loin
leur nouvelle terre. C 'était une faveur du commandant. Il en
avait pris l'initiative contre l'avis du responsable pénitentiaire.
Ce dernier pia f fait
et disait qu'il en aviserait ses supérieurs, que ces femmes
étaient ses pr i sonnières,
que c'était inadmissible. Mais le commandant avait tenu bon.
    — Elles
ont le droit de voir leur nouvelle terre. C'est le minimum qu'on
puisse faire pour elles.
    En
mer, c'était lui qui donnait des ordres, ce jeune blanc-bec de
l'administration ne pouvait rien contre cela
    Marie
avait trouvé une place tout devant, Louise était près
d'elle, avec Anne et Rosalie. Le vent venait de face, dégageant
leurs visages. Elles scrutaient l'horizon depuis bientôt une
heure quand Louise pou s sa
un cri :
    — Ça
y est, là-bas, la terre, je vois la terre !
    Elle
embrassa Rosalie et Anne, et Marie. Et toutes, emportées par
la joie d'être sorties vivantes du ca u chemar
de la cale et de se retrouver à l'air
pur sous le soleil, elles se mirent à pousser
des cris et à s'embra s ser.
Les récits de Louise les avaient tran s formées.
    Postés
sur les hauteurs de la timonerie, le commandant, le représe n tant
de l'administration pénitentiaire et la mère supérieure
n'en rev e naient
pas, tout comme les marins et les gardiens. Et même sœur
Agnès. Comment ces femmes, dont beaucoup étaient dans
la fleur de l'âge, aux plus beaux jours de leur vie, et qu'on
conduisait sur une terre inhospitalière pour les y enfermer à
vie, comment ces femmes po u vaient-elles se réjouir
? Cette joie inexplicable et inexpliquée les a r rangeait
cependant, comment auraient-ils fait face à
des cris, des
pleurs, de la panique ou, pire, une rébe l lion
?
    — Votre
sœur Agnès a bien
travaillé, fit remarquer
le responsable pénitentiaire. Je ne sais ce qu'elle a
pu leur
promettre mais on dirait qu'elles sont en route pour le p a radis.
    — Le
paradis ! glapit le commandant. Le retour à la réalité
risque d'être violent. Elles ne tarderont pas à
comprendre dans quel marigot on les fourgue. (Et, se tournant vers
son second il ajouta :) Mets tout en place rapidement avec les
hommes. Profitons de la bonne dispos i tion
des prisonnières pour débarquer tout ce beau monde au
plus vite. Et après, on dégage, ils se

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