La Fille Du Templier
des
Carcassonnais, elle encourageait sa monture à se frayer un chemin vers les eaux
profondes et glauques de l’étang, et que son bras armé frappait à toute volée
sur les écus et les rondaches, l’ennemi reflua et baissa les armes.
— Sainte Mère de Dieu, merci ! lâcha Guillaume en
se signant. Seule l’envoyée de la Vierge pouvait nous sauver. Voyez-la ! Voyez
Bertrane et rendez-lui grâce !
Que disait-il ? Pourquoi Bertrane ? Stéphanie ôta
le casque qui lui meurtrissait le crâne et la faisait suer. Elle se dressa sur
ses étriers. Elle vit Aubeline d’Aups et Bérarde la Burgonde qui fendaient les rangs ennemis en creusant deux sillons de sang. Elles précédaient
une douzaine de cavalières et de cavaliers dont le triangle repoussait les
fantassins désemparés. Derrière eux, la bannière au cygne d’or flottait et
claquait. C’était un emblème de pureté et de paix brandi par la plus méritante
des chrétiennes de ce monde, la plus admirable des femmes d’Occident. Bertrane
avait le port d’une impératrice, le charisme d’une grande prêtresse de l’Antiquité.
Elle rappela près d’elle les deux forcenées qui lui avaient ouvert le chemin
vers le cœur de la bataille. Aubeline et Bérarde ramenèrent la petite troupe.
Bertrane se déplaçait en toute impunité entre les lignes des
combattants. Au fur et à mesure que les chevaliers et les sergents l’apercevaient
si sereine, nimbée d’une aura divine, ils baissaient leurs armes, cessaient de
s’étreindre et se soumettaient, conscients que les cieux étaient de son côté, que
l’Esprit-Saint l’habitait. L’amour passait et la grâce les touchait. On vit des
hommes pleurer, d’autres secourir ceux qu’ils venaient de blesser. À cet
instant, beaucoup firent le vœu de prendre la croix et de s’en aller défendre
le royaume de Jérusalem. Ils étaient nés pour prendre les vies des musulmans, pas
celles de leurs frères chrétiens.
Bertrane coupa à travers les roselières et se dirigea droit
vers le comte de Barcelone. Ce dernier la salua de l’épée, montrant ainsi à
chacun le respect qui était dû à la dame de Signes. Cependant, il y avait
quelqu’un qui refusait la trêve. Hugon, furieux, se battait encore.
— Tue ! Tue ! répétait-il avec frénésie en
traçant autour de lui un cercle de sang.
Il était devenu fou, inconscient du changement qui venait de
se produire.
— Permets-moi de le ramener à la raison, demanda
Aubeline à Bertrane.
— Il va te massacrer. Ne vois-tu pas que dans son état
il frapperait même le Christ ?
— S’il est aveugle à ce point, j’ai ma chance, répondit
la fille du templier en éperonnant son destrier.
Les soldats retinrent leur souffle. La demoiselle Aubeline d’Aups,
suivie par sa fidèle géante, fonça vers l’aîné des Baux. Hugon fit face à ce
nouvel adversaire qu’il comptait faucher telle une mauvaise herbe. Il maniait
une lourde épée forgée à Milan, plusieurs fois trempée, propre à découper les
aciers de moindre qualité. Il avait la certitude de fendre le bouclier, le bras
qui le tenait et le tronc de l’impudente qui le défiait pour la seconde fois. Il
rencontra le vide. Souple, vive, adroite, cavalière hors pair, Aubeline s’était
couchée sur le flanc de son cheval. En se redressant, elle se retourna et, du
bouclier, avec une violence inouïe, frappa l’arrière de la tête d’Hugon. Un
coup de maître. Le jeune comte assommé chancela et se retrouva à terre. Les
hommes en demeurèrent cois. Qui était réellement cette Aubeline d’Aups ? Une
réincarnation des preux de la Table Ronde ? Assurément, elle tenait sa
science des armes de son père Othon. Mais de là à abattre un chevalier de la
qualité de l’aîné des Baux… Il y avait de la sorcellerie là-dessous. Peut-être
sa compagne burgonde y était-elle pour quelque chose. Bérarde jubilait. Son
sourire dévoilait ses grandes dents. Elle frappa son écu avec sa hache et son
geste fut repris par les Signois. Le fracas s’acheva sur une ovation à laquelle
Bertrane mit un terme en levant la main. Le silence retomba.
Hugon se releva. La tête lui tournait. Sa fureur l’avait
quitté. Il s’aperçut qu’on ne se battait plus. Bertrane poussa son cheval vers
lui. Il la replaça dans le contexte ; elle était à la source de son
humiliation. Elle le dominait du haut de sa monture. Toute blanche sous sa
bannière blanc et or. Hugon grinça des dents. Ses
Weitere Kostenlose Bücher