La Fin de Fausta
disait-elle à peu près la même chose que le chevalier qui, en ce moment même, songeait :
« Oh ! diable, voilà une voix bien calme, bien froide, qui n’est pas précisément la voix d’un amoureux pressé de serrer la bien-aimée sur son cœur. »
Et c’était bien cela, en effet. La voix très calme du duc annonçait l’indifférence. L’instant d’avant, Violetta n’y avait peut-être pas pris garde. Maintenant elle le remarqua. Et, par contrecoup, elle remarqua qu’il s’était bien attardé en bas, avec sa fille. Là, du moins, avait-il l’excuse de l’adoration qu’il avait pour sa Giselle. Cette adoration pouvait bien lui avoir fait oublier la mère. Mais ensuite ? Vraiment il ne se hâtait guère. Cet éperon, n’aurait-il pas aussi bien pu le rattacher chez lui ? Non, non décidément, ce n’était plus un amoureux qui venait. C’était bien l’époux, sinon complètement indifférent, du moins qui commence, et d’une manière inquiétante, à se détacher de l’épouse jadis follement adorée.
Ces réflexions passèrent comme un éclair dans l’esprit de la duchesse. Ses yeux s’embuèrent et un soupir douloureux jaillit de ses lèvres crispées. Mais c’était une vaillante que cette femme frêle et délicate. Elle avait pour l’instant autre chose à faire que de songer à elle-même. Elle se raidit, refoulant sa douleur, contraignant ses traits à demeurer calmes, ses lèvres pourpres à sourire. Seulement, elle ne fit pas un pas à la rencontre de son bien-aimé.
Le duc parut enfin. Tout de suite il aperçut le chevalier qui se tenait droit, immobile, les bras croisés, entre sa femme et sa fille. Il eut un sursaut violent et gronda :
– Pardaillan !… Ici !…
Instantanément, il eut la rapière au poing. Le manteau, arraché d’une main leste, se trouva enroulé autour du bras gauche. Ceci, c’était le premier mouvement, tout à fait irraisonné, presque machinal, et qui s’accomplit avec une rapidité foudroyante.
Ce premier mouvement accompli, le duc ne chargea pas. Il demeura immobile, replié sur lui-même, en garde, surveillant d’un œil étincelant l’adversaire présumé.
Un silence de mort, un inappréciable instant, pesa sur les différents acteurs de cette scène. Au dernier plan, Odet de Valvert et Landry Coquenard, condamnés à jouer encore le rôle de figurants muets, ne prononcèrent pas une parole. Ils ne dégainèrent pas, puisque Pardaillan le leur avait interdit, ils ne firent pas un mouvement. Seulement ils se tinrent prêts à intervenir si le duc s’abaissait jusqu’à attaquer un homme qui gardait l’épée au fourreau.
Pardaillan ne bougea pas. Un de ces sourires indéfinissables, qui n’appartenaient qu’à lui, passa sur ses lèvres. Et il eut, à l’adresse de Violetta, un coup d’œil qui disait clairement : « Que vous avais-je dit ? »
La duchesse regardait de tous ses yeux exorbités, comme si elle ne pouvait en croire le témoignage de ses yeux. Et à la question muette du chevalier, elle répondit en levant au ciel un regard désolé qui disait : « Hélas ! »
La jeune fille, Giselle, elle aussi, ouvrait de grands yeux limpides où se lisait un étonnement effaré. Elle ne comprenait rien à ce qui se passait. Dans son ignorance candide, elle crut à un malentendu, et ce fut elle qui, la première, rompit ce silence très bref, mais si singulièrement menaçant. Et, naïvement, elle s’écria :
– Père, père ! ne reconnaissez-vous pas votre bon ami, M. de Pardaillan !
Et, d’une voix rauque, menaçante, il gronda :
– Que venez-vous faire ici, Pardaillan ?
Pardaillan allait répondre. D’un geste de reine, la duchesse lui ferma la bouche. Et, redressée, dans une attitude d’inexprimable majesté, ce fut elle qui répondit à son époux :
– Duc d’Angoulême, est-ce bien vous que je vois là, le fer au poing, devant votre bienfaiteur ? Par le Dieu vivant, qu’attendez-vous pour remettre l’épée au fourreau et vous excuser comme il convient de votre inqualifiable conduite ?
Le duc secoua la tête d’un air farouche et, sur le ton du maître qui entend être obéi :
– Taisez-vous, Violetta, dit-il, vous ne savez pas…
Mais elle n’entendait pas se laisser imposer silence. Elle se redressa plus que jamais et, avec cet air d’incomparable dignité qui avait quelque chose de royal, elle interrompit :
– Je sais, monsieur, que si Madame votre mère est
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