La Fin de Fausta
oublia les résolutions qu’elle venait de prendre, elle oublia toute prudence, et perdit en même temps tout son sang-froid. Elle se redressa, et dans un sursaut de révolte indignée, elle cria :
– Vous me tuerez, plutôt que de me faire accepter ce misérable époux !
– Je ne vous tuerai pas, et vous l’épouserez.
– Jamais !
– Vous l’épouserez, vous dis-je. Nous saurons bien vous y contraindre.
– Je ne vous suis rien… Je ne vous reconnais pas le droit de disposer de moi, contre ma volonté, et comme un vil bétail.
– Pardon, répliqua Léonora aussi calme que Florence, hors d’elle-même, paraissait avoir perdu la tête, pardon, que vous le vouliez ou non, vous êtes maintenant ma fille ! Que vous le vouliez ou non, j’ai sur vous tous les droits d’une mère. Jusques et y compris le droit de disposer de vous, malgré vous, pour votre bien.
Ces paroles, qu’elle prononçait sans colère, avec la même autorité froide, inexorable, que rien ne paraissait devoir fléchir, produisirent sur la jeune fille un effet terrible. Le bandeau qu’elle s’était un peu trop complaisamment laissé appliquer sur les yeux, dans son ardent désir de se sacrifier pour le salut de sa mère, ce bandeau qui l’aveuglait, tomba brusquement. Et elle vit clair, elle comprit, trop tard, qu’elle avait été odieusement abusée, qu’elle s’était livrée elle-même, pieds et poings liés, à une ennemie implacable. Elle comprit que cette ennemie la tenait maintenant et la briserait impitoyablement pour atteindre un but ténébreux qu’elle s’était fixé et qu’elle n’entrevoyait pas encore.
Et elle recula, effarée, comme si elle avait vu s’ouvrir soudain devant ses pas un gouffre sans fond dans lequel elle allait rouler, déchirée, meurtrie, et au fond duquel elle allait venir s’écraser. Et dans son esprit éperdu, cette clameur retentit :
« Oh ! dans quel infernal traquenard me suis-je laissé prendre !… »
Cependant, Léonora continuait avec son effroyable douceur :
– Que vous le vouliez ou non, nous avons sur vous toute l’autorité que tous les parents ont sur leurs enfants. Cette autorité sacrée, nous saurons la faire respecter. Dites-vous bien que si la fantaisie vous prend de vous révolter, vous serez traitée comme les gens de qualité ont coutume de traiter les filles rebelles : en les enfermant au fond d’un cloître. Et dites-vous encore que si la grille d’un cloître s’ouvre pour vous laisser entrer, nulle puissance humaine ne pourra l’ouvrir pour vous en faire sortir. Vous serez comme ensevelie vivante au fond d’une tombe. Vous n’en sortirez que clouée entre quatre planches, pour aller dormir votre dernier sommeil dans l’agreste champ de repos de la communauté où vous aurez agonisé durant des années longues comme des éternités.
Peut-être, en prononçant ces paroles, Léonora avait-elle, malgré elle, laissé percer que son désir ardent était de se débarrasser d’elle de l’horrible manière qu’elle venait d’indiquer. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’en les entendant, ce fut comme un éclair fulgurant qui vint illuminer les ténèbres dans lesquelles se débattait son esprit aux abois. De même qu’elle avait compris l’instant d’avant qu’elle avait été attirée dans un traquenard, elle comprit maintenant pourquoi. Et ce fut d’abord comme si tout croulait en elle, autour d’elle. Et elle râla en elle-même :
« C’est à cela qu’elle voulait m’acculer ! C’est cela, cette chose hideuse que ma mère voulait !… Ma mère !… ma mère pour qui j’eusse avec joie donné mon sang goutte à goutte, ma mère qui m’a si bien laissé voir tout à l’heure qu’elle ne me pardonnait pas d’être vivante, ma mère qui n’a pas eu le courage d’ordonner qu’on en finisse avec moi par un coup de poignard ou une goutte de poison, ma mère a trouvé cette chose horrible : la mort lente, épouvantable, au fond d’un cloître !… Affreux !… c’est affreux !… »
Florence se trompait. Ce n’était pas sa mère, c’était Léonora qui avait trouvé cette abominable combinaison, et peut-être, à son insu, avait-elle été conseillée par cette insurmontable, cette féroce jalousie, pire que la plus impitoyable des haines, qui la faisait s’acharner contre tout ce qui, de près ou de loin, lui rappelait une infidélité de son trop volage Concino. Cette infidélité fût-elle
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