La Fin de Pardaillan
c’est de l’or espagnol ! dit-il soudain.
– Voyons cela ! s’écria vivement Valvert. Il prit une poignée de pièces et vérifia.
– Toutes à l’effigie de Philippe III d’Espagne !… Voilà qui est étrange ! fit-il soudain assombri.
– Pourquoi étrange ? s’étonna Landry Coquenard. M me la duchesse de Sorrientès est espagnole, elle a apporté de l’or de son pays, elle le distribue, royalement, ma foi, je trouve cela très naturel, moi.
– Au fait, reconnut Valvert, tu as raison. Je ne sais si c’est là un effet de ma nouvelle fortune, mais je n’ai plus que des idées saugrenues dans la tête.
– Quant à moi, conclut Landry Coquenard avec une grimace mélancolique, si M me la duchesse voulait bien me donner seulement le quart de cette somme, je vous assure que je ne m’aviserais pas d’éplucher de quel pays vient son or.
– Tu as raison. Décidément, je crois que je perds l’esprit. Mais, dis-moi, Landry, je crois bien que l’émotion m’a creusé. Je meurs de faim, figure-toi. N’as-tu pas quelque chose à me donner à manger ? La moindre des choses.
– Monsieur, il reste un pâté intact et la moitié d’une volaille. J’ai des œufs aussi, et du lard. Je puis vous faire sauter une omelette.
– Non, le pâté et la volaille suffiront.
– Monsieur, je ne vous cache pas que l’émotion m’a creusé aussi, moi. Je ne serai pas fâché de me mettre quelque chose sous la dent. Et dame, pour deux, je crains que ce ne soit un peu maigre.
– Alors, fais ton omelette. Mais, comme je m’aperçois que tu es un goinfre insatiable, fais-la un peu forte… si toutefois tu as des œufs en quantité suffisante.
– J’en ai douze, monsieur. Rapportez-vous-en à moi. Pendant que son maître lui racontait son entrevue avec la duchesse de Sorrientès, Landry Coquenard ravivait le feu qui couvait sous la cendre, disposait le couvert, confectionnait l’omelette et, sans doute pour ne pas donner un démenti à son maître, qui venait de le traiter de goinfre, y mettait bravement sa douzaine d’œufs, plus une énorme tranche de lard découpée en menus morceaux, convenablement rissolés. De plus, en cherchant bien, il découvrit un gros saucisson à peine entamé, plus quelques tranches de jambon appétissant, plus quelques menues pâtisseries sèches et un pot de confiture.
Bref, ce fut un repas complet, arrosé de quatre flacons d’un petit beaugency des plus passables et couronné par une vieille bouteille d’un excellent vouvray, qu’ils firent là. Après quoi, Valvert sentit toute sa confiance et sa bonne humeur lui revenir comme par enchantement et put se coucher avec des idées plus riantes dans la tête.
Peut-être n’avait-il fait ce repas que pour obtenir ce résultat et s’étourdir.
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Chapitre 15 REVIREMENT
L e lendemain matin, Odet de Valvert fut tout étonné de voir qu’il n’éprouvait pas la satisfaction qu’il était en droit d’attendre de l’heureux changement survenu dans ses affaires. Qu’est-ce donc qui le chiffonnait ? Il n’aurait su le dire. Ou peut-être cherchait-il à se le dissimuler à soi-même. Peut-être sa nouvelle fortune lui paraissait-elle si extraordinaire qu’il avait peine à y croire, qu’il ne pouvait pas se figurer qu’elle durerait. Peut-être…
Toujours est-il que, comme la veille, il dut faire un effort sur lui-même pour se remonter ; comme la veille, il lui fallut chercher, dans un déjeuner copieusement arrosé, un peu de cette gaieté qui lui était naturelle et coutumière, quand il n’était qu’un pauvre hère tirant le diable par la queue, jamais assuré du lendemain et qui semblait le fuir depuis que sa fortune semblait assurée. Comme la veille, il puisa dans une bouteille de vieux vouvray, un peu d’excitation bruyante, qu’il crut – ou feignit de croire – être de la joie.
Cependant, malgré lui, il conservait une arrière-pensée, car lorsque Landry Coquenard qui, lui, n’en cherchait pas si long et exultait franchement et sincèrement, lui demanda s’il n’allait pas se mettre en quête d’un appartement plus vaste, plus riche, plus conforme à la brillante situation qu’était la sienne maintenant, il répondit sur un ton assez sec :
– Nous verrons plus tard… Nous sommes très bien ici.
Ce qui étonna beaucoup le digne Landry Coquenard qui se demanda, non sans inquiétude :
– Est-ce que la fortune le rendrait ladre ?…
Ensuite, lorsque le
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