La France et les étrangers: du milieu du XIXe siècle à nos jours
dans une brume matinale aux reflets nacrés. Tout au bout de la propriété de la maison Hannaby, au pied d'une pente rocheuse, une jetée privée empiétait sur la baie. La jetée était recouverte de neige, tout comme la grande pelouse menant à la maison.
C'était une vaste demeure datant des années 1850, à laquelle des pièces avaient été ajoutées en 1892, en 1895 et, une dernière fois, en 1950. La route pour y accéder conduisait à un immense portique. De hautes marches aboutissaient à des portes massives. Piliers, pilastres et linteaux de granit ornaient chaque fenêtre, chaque porte; une multitude de pignons hérissait le toit- Les balcons du deuxième étage donnaient sur la baie et la grande galerie vitrée du dernier étage contribuait à l'impression de majesté de l'ensemble.
Aucun chirurgien n'aurait jamais pu s'offrir une telle b‚tisse, mais George Hannaby l'avait héritée de son père. Elle appartenait à la famille Hannaby depuis 1884. Elle avait même un nom-Baywatch-, comme les demeures ancestrales dans les romans anglais.
plus que tout, c'est cela qui forçait le respect de Ginger: à Brooklyn, dont elle était originaire, les maisons n'avaient pas de nom.
A l'hôpital, Ginger ne s'était jamais sentie mal à
l'aise aux côtés de George. Il respirait l'autorité, la noblesse, certes, mais on sentait que ses racines étaient plantées dans l'humus commun. A Baywatch, cependant, Ginger prenait conscience de l'héritage patricien de George qui, du coup, devenait différent d'elle. Jamais il ne se drapait dans ses privilèges ou ne les invoquait. Cela ne lui aurait pas ressemblé. Mais les fantômes de ses nobles ancêtres hantaient encore les pièces et les corridors de Baywatch, et elle s'y sentait souvent déplacée.
L'appartement d'amis-chambre, salon et salle de bains-que Ginger occupait depuis une dizaine de jours était plus simple que la plupart des autres pièces de Baywatch et Ginger s'y sentait pratiquement comme chez elle.
Elle s'approcha de la coiffeuse et regarda fixement les gants noirs posés sur la dentelle. Ainsi qu'elle l'avait déjà fait à de très nombreuses reprises au cours des dix derniers jours, elle enfila les gants, plia les doigts et attendit que la peur la submerge. Mais ce n'était rien de plus que des gants très ordinaires, achetés le jour de son départ de l'hôpital et qui n'avaient en rien le pouvoir de la plonger dans l'état de fugue.
Elle les ôta.
On frappa à la porte et Rita Hannaby dit: ´ Ginger, vous êtes prête ?
-J'arrive ª, dit-elle, attrapant son sac sur le lit, non sans jeter un dernier coup d'oeil dans la glace à son image.
Elle portait un ensemble en jersey vert p‚le sur une blouse d'un blanc crémeux au col d'un vert assorti. Il était complété par des chaussures et un sac à main verts et par un bracelet en or et malachite. Cette tenue s'harmonisait à la perfection avec son teint et ses cheveux dorés. Elle se trouva l'air très chic. Enfin peut-
être pas chic, mais une certaine classe.
Cependant, lorsqu'elle sortit dans le couloir et vit Rita Hannaby, Ginger se sentit à son désavantage, sa ćertaine classe ª réduite à une simple tentative pour en avoir.
Rita était aussi mince que Ginger, en dépit de ses cinquante-huit ans, elle mesurait quinze centimètres de plus et tout en elle était royal. Elle portait ses cheveux ch‚tains en arrière, dans une coupe parfaite. Si l'ossature de son visage avait été ciselée plus délicatement, elle aurait eu l'air sévère; néanmoins, des yeux gris lumineux, une peau translucide et une bouche généreuse lui donnaient chaleur et beauté. Rita portait un tailleur Chanel gris, un collier et des boucles d'oreilles en perles et un chapeau noir à large bord.
Ce qui remplissait le plus Ginger de stupéfaction était que rien, dans sa tenue, n'avait l'air voulu, calculé. On avait l'impression qu'elle n'avait pas passé
plus de dix minutes à se préparer. On aurait juré
qu'elle était née impeccablement propre manucurée et maquillée, avec une garde-robe naturéllement à la mode à sa disposition. L'élégance était sa condition naturelle.
´ Vous êtes splendide ! s'écria Rita.
- A côté de vous, j'ai l'air mal fagotée.
- Oh, voyons ! Même si j'avais vingt ans de moins, je n'oserais pas me comparer à vous. Tenez, nous verrons bien qui les serveurs préfèrent au restaurant. ª
Ginger n'était pas une adepte de la fausse modestie.
Elle se savait
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