La fuite du temps
ce lendemain
de la fête du Travail, le temps était particulièrement doux, comme si le ciel
désirait faire regretter aux enfants les vacances estivales disparues. Le
soleil brillait de tous ses feux et une légère brise charriait des odeurs indéfinissables.
Des groupes d'écoliers et d'écolières surexcités avaient envahi les trottoirs
et chahutaient sur le chemin de l'école. Des mères de famille accompagnaient
celui ou celle qui commençait sa première année.
«Je me demande si
je verrai pas Marie-Ange en train de tenir par la main son Germain, songea
Laurette en esquissant un sourire moqueur. Le pauvre petit gars, il a juste dix
ans après tout...»
Puis elle s'en
voulut un peu de cette méchanceté gratuite. Sa belle-soeur avait bien le droit
de couver un peu son fils. C'était son unique enfant.
Lorsqu'elle
parvint à la cour de l'école Champlain, Alain voulut immédiatement lui fausser
compagnie pour courir vers des camarades qu'il venait de reconnaître. Elle le
retint un petit moment.
— Oublie pas ce
que t'a dit ta mère, l'averti-t-elle. Tu dois attendre ton petit frère après
l'école et vous devez revenir ensemble à la maison pour dîner.
— Oui,
grand-mère.
— Bon. Tu peux
aller rejoindre tes chums.
Sans plus se
préoccuper de son frère, le garçon partit comme une flèche en hélant certains
de ses amis.
Pour sa part,
Denis demeura près de sa grand-mère.
Cette dernière le
sentait malheureux, rempli de craintes devant ce monde inconnu qu'il allait
aborder dans quelques minutes. Elle se souvint alors avec nostalgie de la
première journée d'école de ses propres enfants. Il lui semblait qu'il y avait
des siècles de cela. Elle se rappelait avoir accompagné
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Jean-Louis, puis
Gilles... Pas Richard. Pourquoi? Elle ne le savait plus. Par contre, elle avait
encore frais à la mémoire le retour précipité de ce dernier à peine une heure
après le début des classes et la colère de Jean-Louis qui avait dû venir le
chercher à la maison, sur l'ordre du directeur de l'école.
— Mon Dieu, que le
temps passe vite! Que c'est loin tout ça! murmura-t-elle.
Des mères qui
attendaient à ses côtés tournèrent la tête dans sa direction, croyant, durant
un bref instant, qu'elle s'était adressée à elles.
Une sonnerie se
fit entendre et les enfants furent rassemblés à l'autre extrémité de la cour et
répartis par groupes. Une jeune institutrice souriante vint vers les petits,
demeurés aux côtés de leur mère. Elle les rassembla rapidement autour d'elle et
les entraîna vers l'école.
Laurette demeura
debout près du treillis jusqu'à ce que Denis ait passé la porte de
l'établissement. Avant de disparaître, le petit garçon fit un timide «Au
revoir» à sa grand-mère.
Cette dernière
retourna chez elle et s'empressa de téléphoner à sa fille pour lui apprendre
que ses deux fils étaient à l'école et que l'aîné lui avait promis d'attendre
son petit frère pour revenir à la maison à la fin de l'avant-midi.
Après avoir
raccroché, elle se rendit compte que sa fille aînée s'était bien gardée de
demander des nouvelles de sa soeur, aussi bien la veille que le matin.
— Je vais lui
donner le numéro de téléphone de Carole, se promit-elle en se dirigeant vers sa
chambre à coucher pour y mettre de l'ordre. Elle est tout de même pas pour
faire comme son père et bouder sa soeur.
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Trois semaines
plus tard, l'été n'était plus qu'un vague souvenir. Les journées pluvieuses
avaient commencé à se faire plus nombreuses et les soirées étaient devenues si
fraîches qu'il n'était plus question d'aller s'asseoir à l'extérieur.
Depuis quelques
jours, un temps gris persistant annonçait que l'automne s'était déjà bien
installé.
Cet
avant-midi-là, la radio jouait dans la cuisine des Morin. Frenchie Jarraud
venait de promettre à une auditrice de lui faire jouer Paris en colère, le
nouveau succès de Mireille Mathieu, au moment où Laurette finissait de laver le
linoléum de sa cuisine. Le téléphone sonna.
— Maudit verrat!
jura-t-elle, me v'ià poignée pour marcher sur mon plancher même pas sec.
Pendant un court
instant, elle eut la tentation de ne pas aller répondre. Puis devant la
sonnerie insistante, elle finit par se rendre à l'appareil.
— Bonjour,
madame, je suis la secrétaire du dentiste Duval, se présenta une voix
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