La fuite du temps
recevoir comme étrenne cet
appareil, mais elle avait bien spécifié qu'elle désirait la mini laveuse pour
ne pas être trop encombrée. Quand sa fille avait suggéré la possibilité que ses
enfants puissent peut-être lui offrir aussi un sèche-linge, la réponse avait
été sans équivoque.
— Ah non! Vous
êtes ben fins, mais je veux pas de cette maudite patente-là. Ça prend ben trop
de place et d'électricité.
À part ça, je
suis sûre que quand on sort le linge de ça, il sent rien. Les cordes à linge,
c'est pas pour les chiens.
Bref, chaque lundi
matin depuis un peu plus de trois mois, Laurette tirait sa mini laveuse devant
l'évier et se mettait en frais d'en remplir la cuve minuscule avec de l'eau
qu'elle avait préalablement fait bouillir sur la cuisinière.
— Ça vaudra
jamais une bonne laveuse à tordeur, répétait-elle parfois en rageant contre la
capacité fort limitée de la cuve de l'appareil. J'étais ben mieux avec ma
vieille laveuse. Avec elle, au moins, je perdais pas mon temps à attendre que
le linge soit assez brassé. En plus, cette cochonnerie-là arrête pas de couler
et je passe mon temps à essuyer de l'eau sur mon plancher.
Gérard ouvrit La
Presse après avoir déposé sa tasse de café sur l'appui-fenêtre.
— Sais-tu qu'on
est déjà presque rendus à Pâques, laissa-t-il tomber. On commence la semaine
sainte.
— Et il va
falloir aller faire nos Pâques, lui fit remarquer sa femme en repoussant une
pile de vêtements qu'elle venait de plier.
— C'est ben la
dernière affaire religieuse qu'on fait, rétorqua Gérard. Il me semble que cette
année, je t'ai pas
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entendu faire une
promesse de carême, ajouta-t-il pour la taquiner. Ça t'aurait pas tenté
d'essayer d'arrêter de fumer pendant le carême... ou de te priver de dessert? —
Achale-moi pas avec ça. J'en ai fait une promesse et je l'ai tenue, à part ça,
répliqua Laurette.
— Laquelle? — Je
pourrais ben te répondre que c'est pas de tes maudites affaires, mais je vais
te la dire pareil. J'ai promis de t'endurer. Laisse-moi te dire que c'est ben
pire que d'arrêter de fumer, ajouta sa femme en arborant un petit sourire
narquois.
— Exagère donc.
Je suis pas si pire que ça.
— Ça, c'est toi
qui le dis, conclut-elle.
Durant de longues
minutes, la pièce fut plongée dans le silence. Laurette finit par être
intriguée de ne pas entendre le froissement des pages du journal. Elle leva la
tête de son travail pour regarder ce que son mari faisait. Il ne lisait pas.
Il avait les yeux
perdus dans le vague.
— A quoi tu
jongles? lui demanda-t-elle, intriguée.
— Je pensais à
Pierre et à Gilles.
— En quel
honneur? — Je trouve que leur idée d'avoir un lot dans le Nord est pas bête
pantoute. Taboire, si j'avais un char, moi aussi je m'organiserais pour en
avoir un!
— T'es malade,
toi! s'insurgea-t-elle. Nous vois-tu poignes en plein bois, sur le bord de
l'eau? Veux-tu ben me dire ce qu'on ferait là? — Respirer du bon air plutôt que
l'air de la Dominion Oilcloth et de la Dominion Rubber.
— Moi, je le sens
plus, cet air-là, dit Laurette avec mauvaise foi. Pour une fois, je trouve que
Jocelyne a ben raison. Je suis comme elle. Je veux rien savoir d'aller
m'écraser dans une tente pour jouer à l'habitante et me faire manger par les
mouches noires.
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Le ton définitif
de sa femme fît comprendre au gardien de sécurité que le sujet était clos.
D'ailleurs, elle ne reprit la parole que quelques minutes plus tard pour
aborder un tout autre sujet.
— J'ai trouvé un
moyen de te faire gagner ton ciel avant Pâques, lui dit-elle en s'allumant une
cigarette.
— Quoi? demanda
ce dernier, méfiant.
— On fait le
ménage de printemps à partir de demain soir.
— Es-tu folle,
toi? s'emporta son mari, qui détestait
cette corvée
incontournable au début de chaque printemps.
J'arrive ben trop
fatigué de ma job pour faire ça. J'ai plus l'âge pantoute de me lancer dans de
la grosse ouvrage comme ça.
— Aïe, Gérard
Morin, viens pas me raconter ça à moi!
répliqua
Laurette. Tu l'as dit toi-même que tu passes tes journées à te promener ou à
être assis sur ton steak. T'es pas un petit vieux. Tu viens juste d'avoir
cinquante-six ans.
— A cinquante-six
ans, tu sauras, on n'est plus une jeunesse.
— Dans ce cas-là,
je comprends pas que t'essayes de
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