La grande guerre chimique : 1914-1918
fixatrice ne contenait pas
d’hexamine, qui protégeait du phosgène [691] .
Aussi, lorsque les Austro-Hongrois en utilisèrent à Caporetto en octobre 1917,
les autorités italiennes réalisèrent amèrement l’ampleur de leur négligence et
optèrent immédiatement pour les modèles français et britanniques (SBR).
Les ingénieurs français, sous la direction des P rs Lebeau
et Saulnier, s’inspirèrent eux aussi du masque allemand pour concevoir, en
novembre 1917, et après deux années de recherche, un nouveau respirateur
qui reçut l’appellation ARS [692] pour Appareil respiratoire spécial [693] . Sa cartouche
contenait un mélange d’oxyde de zinc, de charbon actif glycériné et de
carbonate de soude pour arrêter le chlore et les substances acides ainsi qu’un
tampon d’hexamine contre le phosgène [694] .
Par la suite, on ajouta à ce mélange du permanganate de potassium pour protéger
contre de fortes concentrations de phosgène, et l’on utilisa en outre une couche
de coton pour arrêter les fines poussières d’arsines solides. Selon Charles
Moureu, « cet appareil fut sans doute (si l’on excepte les masques
respiratoires plus spécifiques et produits en nombre limité) le meilleur qui
ait été employé par les armées belligérantes » [695] . De fait, les
ingénieurs français ne s’étaient pas contentés de copier le modèle allemand,
ils l’avaient habilement perfectionné. Contrairement au cas du masque allemand,
l’air inspiré au travers de la cartouche absorbante était rejeté, non pas par
le même chemin, mais par un conduit spécifique. Cette ingénieuse innovation
reposait sur un complexe système de valves et de joints de caoutchouc dont la
mise au point se révéla fort délicate. Ce procédé fit de l’ARS le masque le
plus confortable de la Grande Guerre, ce qui était loin d’être négligeable. Il
pouvait être porté pendant plus de vingt heures sans poser de problèmes
majeurs. Le masque ARS se montrait également supérieur au masque allemand
grâce à sa texture caoutchoutée lavable et à la facilité avec laquelle il était
possible de l’ajuster. Force est cependant de tempérer l’enthousiasme de
Charles Moureu dans la mesure où le masque ARS comportait un inconvénient
majeur, à savoir une cartouche absorbante dont la taille était largement
inférieure à celle du modèle allemand. De ce fait, et malgré les assertions des
chimistes français [696] ,
il se montrait incapable, à moins que l’on ne changeât la cartouche, de
protéger pendant une durée supérieure à quelques heures contre des
concentrations élevées en toxiques [697] .
Malgré tout, il représentait un pas important par rapport au M2, car il
permettait un saut qualitatif appréciable : l’ARS, à concentrations égales
en phosgène, c’est-à-dire 1 g/m 3 , protégeait le soldat pendant
près de seize heures contre cinq pour le M2. Accepté par le ministère de l’Armement
en février 1917, il ne fut mis en service qu’à partir de novembre en
raison de problèmes de mise au point. Au mois de mai, la totalité des soldats
français en avaient été dotés. Il fut produit à plus de 5 millions d’exemplaires [698] dont 3,7
distribués sur le théâtre des combats.
Jusqu’à l’arrivée de l’ARS, les forces françaises ne
disposaient avec le M2 que d’un masque médiocre au regard des performances du
sbr ou du modèle allemand. D’un point de vue technique, et si l’on excepte son
confort, le M2 était un masque rustique, pour ne pas dire fruste, dont les
capacités filtrantes étaient loin d’être satisfaisantes et qui fut largement à
l’origine de la surmortalité chimique observée dans les rangs français.
Le développement des capacités de défense infléchit
considérablement le cours de la guerre chimique. Ainsi, contre une troupe
correctement équipée, seuls deux types d’actions chimiques offensives restaient
réalistes : « Il était possible de mettre à mal les défenses de l’adversaire
au terme d’une attaque chimique massive et soudaine afin de surprendre l’ennemi
à un moment où il négligeait le port du masque. En plus de ces pilonnages
massifs, il était également assez efficace de maintenir des concentrations en
toxiques moins élevées mais sur une durée plus importante afin d’user les
forces de l’adversaire. » [699] Cela avantageait
incontestablement les Britanniques, dont le respirateur demeurait efficace
pendant un
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