La grande guerre chimique : 1914-1918
laps de temps considérable. Au début de l’année 1917, la défense
avait pris le pas, ou du moins avait neutralisé l’attaque dans le domaine de la
guerre chimique. On se retrouvait en quelque sorte dans la même impasse
tactique que celle qui avait conduit les combattants à s’enterrer en 1915.
C’est aussi en ce sens qu’il faut évaluer l’introduction par
les Allemands, en juillet 1917, de l’ypérite, dont la grande « qualité »
était bien sûr de s’attaquer au métabolisme en s’infiltrant par des zones du
corps non protégées par les respirateurs. À cette date, les Allemands venaient
d’introduire un agent chimique contre lequel il n’existait aucune défense. Il
faut d’ailleurs remarquer que jamais, pendant la dernière année du conflit, les
chimistes ne trouvèrent une véritable parade à l’action du gaz moutarde. On
explora pourtant de nombreuses voies, mais aucune ne se révéla vraiment
satisfaisante. Le principal vecteur de la défense contre le sulfure d’éthyle
dichloré furent les vêtements de tissu huilé [700] , dont le port
était inconfortable et inconciliable avec la mobilité nécessaire aux fantassins
de premières lignes. Aussi, seuls les hommes dont le rôle était jugé capital,
tels les artilleurs, en étaient équipées. La seconde approche consista à
pourvoir les hommes en crèmes protectrices à base de chlorure de chaux [701] et de vaseline. En théorie, la pommade française Desgrez formait sur la peau
une barrière infranchissable aux vésicants. Cette méthode ne fut adoptée que
lors d’opérations offensives, en raison de la difficulté à l’utiliser en
permanence mais aussi parce qu’il était très ardu de détecter une intoxication
à l’ypérite avant que les premiers symptômes physiologiques n’apparaissent. De
plus, cette pommade n’assurait qu’une protection temporaire et limitée [702] .
Enfin, dans les derniers mois de la guerre, les Allemands fournirent leurs
hommes en poudre de chaux (ou de permanganate), qui était censée neutraliser le
gaz moutarde [703] .
Le procédé se révéla néanmoins peu probant.
Dans l’ensemble, les masques respiratoires ont démontré une
efficacité remarquable, abaissant considérablement la mortalité des premières
attaques chimiques. Cette remarque du D r Messerli reste significative,
même si les chiffres évoqués, notamment pour la mortalité en Flandres en 1915,
sont considérablement surévalués :
« Lors des offensives chimiques en 1915, alors que
les moyens de protection étaient nuls, la mortalité fut de 25 % dans les
Flandres (…) ; quelque temps après à Bolimow sur le front russe, la
mortalité dépassa même les 60 % (…). À la fin de la guerre, alors que les
troupes étaient protégées contre les gaz et entraînées au port et à l’utilisation
rapide du masque, la mortalité par intoxication chimique n’atteignait pas 2 %,
ce qui est remarquablement minime ; depuis l’automne 1915, plus aucun
soldat des armées belligérantes n’entrait en campagne sans être muni de son
masque et des instructions spéciales furent données aux troupes en vue de leur
protection ; les soldats sanitaires furent même munis de nouvelles
sacoches de pansements dites anti-gaz. » [704]
Toutefois, si d’un point de vue physiologique les
performances des protections respiratoires permirent de protéger convenablement
les combattants, leur inconfort et surtout la sensation de gêne intense à la
respiration qu’elles provoquaient, les rendaient fort pénibles à supporter,
surtout par grandes chaleurs. Les fantassins répugnaient à revêtir leurs
masques. Non seulement cette contrainte décuplait les souffrances de la vie
dans les tranchées mais les réticences à porter les masques provoquèrent de
nombreuses victimes supplémentaires.
La formation de la troupe à la guerre chimique
En dehors de ces équipements de protection respiratoire, la
défense chimique résidait aussi dans une discipline et une formation spécifique
de la troupe aux dangers des gaz.
Seule une vigilance de tous les instants et des sens avertis
pouvaient prévenir le fantassin du danger mortel qui le menaçait. Nous l’avons
déjà observé, la notion de surprise était déterminante à la réussite d’une
attaque chimique. Un soldat surpris était bien souvent un soldat mort.
Aussi, il ne suffisait pas de distribuer des masques
respiratoires, encore fallait-il former le combattant à son
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