La guerre de l'opium

M. Roberts, s’il te plaît   ?
    —  Mais bien sûr, maman   ! s’écria Laura avant d’entraîner La Pierre de Lune dans la cour du presbytère.
    Elle ne put s’empêcher de trouver curieux que sa mère voulût parler seule à seul avec Roberts dont elle avait parfaitement perçu l’antipathie envers son père. Elle s’abstint toutefois de tout commentaire ou signe qui eût laissé entendre qu’elle en était étonnée. Bizarrement, la présence du jeune Chinois pacifiait son cœur. En d’autres circonstances, nul doute qu’elle eût autrement marqué le coup.
    Sous l’influence de La Pierre de Lune, Laura Clearstone, déjà, était en train de grandir et de se transformer.
     
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    Demeurée seule avec Issachar Jacox Roberts, Barbara Clearstone se racla la gorge.
    Monsieur le révérend, j’aurais besoin de vous parler en privé… murmura-t-elle d’une voix oppressée.
    Elle était d’une extrême pâleur et luttait désespérément pour éviter de donner d’elle l’image d’une femme totalement bouleversée.
    —  C’est urgent   ? Le père Roberts a rendez-vous avec un apprenti pasteur originaire du Fujian… s’écria Mélanie Bambridge.
    Perpétuellement aux aguets dès qu’elle voyait Barbara Clearstone approcher de son maître, elle avait fait en sorte de ne pas perdre une miette de la scène.
    Barbara, n’y tenant plus, se fit suppliante.
    —  Mon révérend, je n’en ai pas pour longtemps… insista-t-elle dans un murmure.
    Roberts, après avoir légèrement hésité, eut pitié d’elle.
    Au grand dam de Mlle Bambridge, il la conduisit dans son bureau, une pièce basse de plafond et pauvrement meublée à l’exception des murs qui étaient entièrement tapissés de beaux livres religieux.
    Dès que le pasteur referma la porte, l’épouse de Brandon éclata en sanglots.
    —  Mon révérend, mon mari a décidé de repartir à Londres par le prochain bateau… La vente de pianos ne marche pas ici. Nous sommes ruinés   !
    —  C’est ce que j’ai cru comprendre… tout au moins d’après ce que votre fille m’a laissé entrevoir.
    —  Laura vous a dit   ? s’écria-t-elle, éplorée.
    —  Rassurez-vous, madame Clearstone, vous avez une fille bien élevée. C’est moi qui en ai conclu que l’équipée de votre mari ne se passait pas comme prévu.
    —  C’est peu dire   ! Vouloir imposer le piano aux Chinois relève de l’utopie   !
    Barbara, qui avait sorti un mouchoir, s’essuya les yeux tandis que Roberts se mettait à marcher de long en large.
    —  Ici, malgré les courbettes et les sourires de façade dont ils sont l’objet, les nez longs anglais, comme ils disent, n’ont pas très bonne presse…
    —  Il y a des raisons à cela, ne trouvez-vous pas   ?
    —  C’est un fait, madame Clearstone. Vous prêchez un convaincu   ! D’une manière générale, les Européens ont tendance à considérer le reste de la planète comme quantité négligeable. Vous savez, c’est la raison pour laquelle les États-Unis d’Amérique ont eu la bonne idée d’affirmer leur propre identité en évitant de s’aligner sur les puissances coloniales.
    —  Je ne me sens pas européenne   ! Ni anglaise, d’ailleurs   ! s’écria Barbara d’une voix frémissante.
    La suffragette qui sommeillait toujours en elle reprenait le dessus. Il la regarda avec un sourire un peu navré.
    —  Je ne parlais pas de vous, madame Clearstone.
    —  Vous pourriez m’appeler Barbara   ! supplia l’intéressée.
    —  Barbara Clearstone… Oui   ! si tous vos compatriotes pensaient comme vous, ce que vos journaux appellent la guerre de l’opium n’aurait pas eu lieu   ! soupira l’Américain.
    —  Vous le pensez   ?
    —  Si je vous le dis   ! lâcha-t-il en sortant sa montre de son gousset.
    Barbara se racla la gorge. L’heure tournait et il était temps de dire au pasteur la vraie raison de sa visite.
    Elle prit son courage à deux mains puis, avec l’inconscience des gens intègres qui n’ont jamais cherché à manipuler autrui et ne se rendent pas compte de leur audace, elle se lança :
    —  Mon révérend, accepteriez-vous de m’abriter chez vous avec mes deux enfants, le temps que je trouve un travail   ?
    Elle avait formulé sa requête tout de go, après avoir joint ses mains en signe de prière.
    Roberts, estomaqué, pour lequel toute rupture des liens du mariage était un péché mortel, ne put s’empêcher d’esquisser un