La guerre de l'opium
avait heurté le ponton de débarquement sur lequel attendaient des hommes en uniforme disposés sur deux rangées et qui portaient chacun, comme toute la soldatesque de l’Empire lorsqu’elle était à la parade ou au combat, une oriflamme attachée dans le dos.
— Que font là ces soldats ?… fit Jasmin Éthéré.
— Ce sont des fonctionnaires de l’administration des douanes et des taxes indirectes ; ils sont chargés de vérifier si les bateaux ont bien acquitté les droits de transit pour leurs marchandises.
— Ils vont nous contrôler ?
Tang lui désigna non loin d’eux un homme à la mine sévère, vêtu de la même tenue que les hommes sur le ponton, l’oriflamme en moins, qui n’avait pas desserré les dents de tout le voyage, ayant passé l’essentiel de son temps à faire et à refaire des comptes avec son boulier.
— C’est un de leurs chefs. Il est en tournée d’inspection. Pour une fois, les contrôleurs vont être soumis à la question. Nous en profiterons pour fausser compagnie à tout ce beau monde… fit-il à voix basse, sûr de son coup.
Dès que la passerelle fut mise en place, l’inspecteur en question la franchit d’un pas décidé et mit pied à terre, où il fut accueilli avec déférence par le chef de poste. Puis, tel un officier supérieur inspectant ses troupes avant la bataille, il se fit présenter un à un les hommes alignés sur le ponton. Tout ce petit monde se dirigea ensuite vers le bureau des douanes où les documents à vérifier attendaient le haut fonctionnaire.
Puis ce fut au tour de l’équipage de quitter le navire.
— Jasmin Éthéré, c’est le moment… souffla Tang après avoir constaté qu’il n’y avait plus personne sur la passerelle.
Profitant de l’inspection à laquelle étaient soumis les douaniers, dans l’air moite qui matelassait l’atmosphère, ils quittèrent le navire déserté, leurs légers bagages à la main.
Sur le quai, quelques coolies s’affairaient, traînant de lourdes charges jusqu’au bord de la voie d’eau en prévision de l’arrivée de la prochaine barge dont on apercevait déjà au loin l’étrave, malgré la brume matinale qui déployait ses voiles cotonneux. Dans quelques heures, après l’arrivée de deux ou trois gros navires, une foule industrieuse et jacassante aurait envahi ces lieux où l’incessant va-et-vient des marchandises ne s’arrêterait qu’à la tombée de la nuit.
Sans encombre, ils traversèrent la rue principale du port fluvial où les gargotes étaient déjà ouvertes, exhalant leur odeur de beignets frits, et hélèrent deux porteurs de chaise auxquels le prince demanda de les conduire au centre-ville.
— Tout s’est passé comme prévu… souffla Jasmin Éthéré lorsque leur véhicule franchit l’une des portes de Nankin, au milieu d’une foule de mendiants en haillons qui tendaient leurs sébiles.
Dans la chaise étroite où ils étaient assis pratiquement collés l’un à l’autre, Tang pouvait sentir, tout contre les siennes, les hanches souples et fermes de Jasmin Éthéré, en même temps que de légers fourmillements prometteurs à la base de sa Tige de Jade…
Avec toi, ce que je cherche depuis toujours, je l’ai enfin trouvé…
Il se ressaisit. Ce n’était pas le moment de se laisser aller ni de s’épancher…
Ils laissèrent à main gauche le temple confucéen de la Reconnaissance et sa célèbre tour de Porcelaine dont les murs de soutien, gardés jour et nuit, étaient curieusement incrustés de vaisselle précieuse, et longèrent un lac au bord duquel des centaines de grues posées sur des saules pleureurs attendaient patiemment que la vapeur exhalée par les eaux se dispersât pour s’y abattre et traquer les poissons. Enfin, ils se retrouvèrent au pied de la muraille de la célèbre et orgueilleuse cité dont les empereurs Ming avaient fait la capitale de la Chine. Il ne leur restait plus qu’à passer sous la porte de la Lanterne pour y pénétrer, ce qu’ils firent, Tang le cœur léger et Jasmin Éthéré forcément plus anxieuse.
— Mon vieux maître habite entre la tour du Tambour et celle de la Cloche. C’est par là… C’est fou ce que le quartier a pu changer.
À l’image de sa prospérité, Nankin, devenue au fil des siècles la plaque tournante de l’industrie et du commerce de la soie, était un immense chantier. Dans les cris et la sueur, des milliers de terrassiers, de maçons, de charpentiers et de
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