La Guerre Des Amoureuses
espérant qu’on ne pendrait
pas trop vite le comédien.
En courant, Olivier expliquait à M. de Mornay
ce qu’il avait vu.
— Ils n’ont pu aller bien vite, car
Maurevert boitait, conclut-il. Sans doute a-t-il prévu quelque barque. Il faut
les rattraper avant qu’ils ne traversent la rivière !
Les branches les fouettaient et les giflaient,
mais ils n’y prenaient garde. Maintenant, c’est Poulain qui avait pris la tête.
Épée en main, il taillait un chemin devant lui, à grands coups de lame.
Ils arrivèrent aux berges. Personne !
— Ils peuvent être plus haut ou plus bas,
haleta Nicolas Poulain, désemparé.
— Là-bas ! cria Olivier qui venait
de voir bouger des buissons.
Trois hommes poussaient difficilement une
barque à fond plat qu’ils avaient dissimulée sur la rive.
C’est Maurevert qui les vit arriver le premier.
Il abandonna la barque, tira son épée et les salua avec ironie. Ses deux
compagnons, les spadassins italiens, firent de même.
Poulain était le plus vigoureux et avait l’habitude
de ce genre de poursuite, il restait en tête, tandis que Mornay, essoufflé, était
à la traîne, aussi le pape des huguenots cria-t-il :
— Monsieur Poulain, je vous en prie, laissez-moi
Maurevert !
— Je vous attends, monsieur de Mornay !
persifla Maurevert, nullement inquiet. Après avoir tué le maître, je me dois d’occire
le serviteur !
En gentilhomme, il se mit en garde basse, tenant
sa brette de sa main valide.
Le maestro Jacopo avait roulé son manteau
autour de son avant-bras gauche dont la main tenait une dague de miséricorde. Poulain
croisa immédiatement le fer avec lui. Olivier engagea donc le combat avec le
valet, lui aussi utilisant une dague.
La rencontre était inégale. Maurevert était un
fin escrimeur et Mornay bien moins fort que lui. Mais le pape des huguenots avait ses deux bras, de bonnes jambes et le bénéfice de l’âge. Lui aussi tenait
sa dague de la main gauche, croisant habillement ses deux lames pour empêcher
Maurevert de le dominer.
Dans la rencontre, le seul avantage qu’avait
Nicolas Poulain était que maestro Jacopo ne pouvait donner toute sa science sur
la berge boueuse de la rivière, car les pieds des duellistes collaient dans la
vase. En revanche, bien campé sur ses jambes, le prévôt utilisait son épée
comme une cognée et, avec sa force, il assenait des coups de taille d’une
violence extrême au spadassin italien qui recula plusieurs fois.
Malgré tout, par une succession de savantes
parades de tierce et de prime, le maître d’armes égratigna deux fois son
adversaire au bras et un filet de sang commença à suinter le long de la manche
de Nicolas qui, affaibli, commença à rompre.
Quant à Olivier, il ne faisait que reculer. Les
parades de coups de pointe se succédaient aux parades de coups de tranchant. Le
jeune Hauteville n’avait qu’une expérience d’un an en salle d’armes quand son
adversaire était le valet d’un maître qui connaissait tout de la scienza
cavalleresca.
Pendant un moment, on n’entendit que les chocs
et les froissements des lames ponctués par les flocs des bottes dans la boue.
Mornay reculait, rompait, esquivait
continuellement, et un sourire de satisfaction apparut sur les lèvres de
Maurevert. Pourtant, brusquement, le pape des huguenots se dégagea et, bloquant
une seconde l’épée de son adversaire avec la poignée de sa dague, il donna un
foudroyant coup de revers dans le jarret de Maurevert. La surprise, puis la
douleur, envahit le visage du tueur des rois qui s’écroula.
M. de Mornay venait de porter la
fameuse botte secrète par laquelle Jarnac avait tué La Châtaigneraie.
À peu près au même moment, Poulain avait
tellement reculé qu’il se trouva le dos à un saule. Sentant une branche
derrière lui, il continua à rompre, esquivant au mieux les coups tout en
compressant la branche qui pliait derrière lui. Il s’écarta soudain d’un saut
latéral.
La branche tendue à l’extrême revint en avant
comme un fouet et atteignit le spadassin en pleine face. À cette époque, les
duels n’étaient pas encore codifiés comme d’élégantes rencontres d’honneur. C’étaient
des boucheries où tous les coups étaient permis. Comme son adversaire était
étourdi par la branche, d’un revers, Poulain écarta sa lame et, de son autre
main, lui enfonça la miséricorde dans la joue jusqu’au crâne.
À quelques pas de lui, le jarret sectionné,
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