La guerre des rats(1999)
prenant des notes pour Ostarhild alors que l’activité des tireurs d’élite russes y redoublait.
— Allons vers le nord, suggéra-t-il.
— D’accord. Pourquoi ?
Thorvald se leva, lança son sac au caporal, lui tendit son fusil. Il ne suffit pas de demander pour que ça change, remarqua Mond en lui-même.
— Si nous liquidons une douzaine de mitrailleurs ou de soldats, Zaïtsev ne s’en apercevra pas. Même quelques officiers ne le feront pas réagir rapidement.
Nikki passa le fusil de Thorvald à son épaule, se tourna pour guider le colonel le long de la pente.
— Mais si nous éliminons plusieurs de ses lièvres, il recevra le message. Et je sais où nous pouvons les trouver.
Trois heures plus tard, Mond et Thorvald étaient assis au sous-sol d’un bâtiment éviscéré, dans le bunker abritant le quartier général du capitaine Manhardt, 86 e d’infanterie. Avachi sur un tabouret, Manhardt parlait au colonel.
Nikki gigota sur son siège. La parka et le pantalon blanc de camouflage que Thorvald avait obtenus pour lui dans l’après-midi le faisaient transpirer. Quand Mond avait enfilé la tenue, l’officier avait éclaté de rire en montrant les plis qu’elle gardait au sortir de sa boîte.
— Vous vous fondrez dans le paysage pour peu que la neige soit elle aussi bien repassée.
Le capitaine Manhardt se gratta distraitement l’aisselle. Deux fois déjà il avait interrompu sa description de la façon dont ses hommes s’étaient fait descendre comme au casse-pipe dans l’usine de tracteurs et le couloir, pour murmurer : « Saloperies de poux ! »
Il répondit à la question de Thorvald :
— Sept morts. Peut-être plus, je sais pas.
Sa douleur était palpable. On sentait qu’il avait hâte d’en finir avec ces deux fouineurs vêtus de blanc pour se retrouver seul à crier dans sa cave.
— Les pauvres idiots.
Il plaça sa langue derrière sa lèvre inférieure, la fit saillir et gonfler comme si elle avait reçu un coup. Après un long silence triste, il poursuivit :
— Ils entendent un bruit dans les gravats. Un bruit métallique, comme un coup de pied dans un boîte de conserve. Alors un crétin passe la tête au-dessus de la tranchée pour regarder et écope d’une balle. Ça n’arrête pas depuis ce matin tout le long du talus de la voie ferrée. J’y suis allé, je les ai prévenus : bon Dieu, c’est du boulot de tireur embusqué, ça ! Ils jettent une boîte de conserve de quelque part ou ils font ce bruit je sais pas comment. Je leur ai expliqué, je leur ai ordonné : « Ne levez pas la tête ! » Mais ils sont bien obligés de regarder. Ils connaissent les cocos. Les Russes feront ça pendant un jour ou deux pour habituer nos hommes à pas regarder quand ils entendent un bruit, pour les forcer à rester sans bouger, morts de trouille. Et puis un jour, à l’aube, les Ruskoffs ramperont dans les ruines, ils se rueront dans la tranchée et ils égorgeront mes hommes, parce qu’ils auront pas osé regarder…
Le capitaine se gratta la nuque, passa une main sur ses yeux brillants, privés de sommeil, conclut :
— Qu’est-ce qu’ils peuvent faire ? Qu’est-ce que je peux leur dire ? Les tireurs russes, ça les amuse sûrement.
Thorvald marqua une pause avant de parler afin de montrer sa considération pour les malheurs de Manhardt.
— Pourrais-je voir les cadavres ? sollicita-t-il d’une voix apaisante, comme une compresse sur le front du capitaine. Le caporal et moi voulons faire quelque chose.
Manhardt se leva. Il avait le corps couvert d’armes, gonflé de partout. Des cartouchières de balles se croisant sur sa poitrine, une baïonnette attachée à une jambe, des grenades accrochées à la taille, un pistolet Mauser glissé sous la ceinture.
Après avoir passé sa mitraillette à l’épaule, il conduisit les deux hommes au rez-de-chaussée, dans une gigantesque grotte, une salle demeurée intacte, comme une bulle, au cœur du bâtiment ravagé. Le haut plafond, entrelacs de poutres d’acier pliées et de morceaux de béton, lui donnait l’air d’une cathédrale démente. Allongés sur le sol, des soldats blessés enveloppés de bandes sanglantes tendaient les mains, roulaient d’un côté à l’autre ou demeuraient immobiles. Les plaintes et les murmures se mêlaient aux appels angoissés pour réclamer les deux infirmières en uniforme brun. Elles marchaient d’un pas vif entre les corps, parlaient aux hommes à voix basse, hochaient la tête
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