La guerre des rats(1999)
près la tache sur l’arrière du crâne.
— C’est un orifice de sortie, diagnostiqua-t-il. Regardez autour du trou. Il n’y a pas de traces de contusion ni d’anneau d’abrasion.
La balle était ressortie derrière l’oreille du jeune Allemand. La chemise du projectile n’avait pas été aplatie par l’impact et n’avait pas emporté l’arrière de la tête en ressortant, comme elle était censée le faire.
Mais par où la balle était-elle entrée ?
À l’aide du couteau, Thorvald tenta d’ouvrir la bouche du mort, fermée par la rigidité cadavérique. En remuant la lame entre les dents, il parvint à débloquer les mâchoires aux muscles gelés.
Pardessus l’épaule du colonel, Nikki regarda le visage du mort. La bouche, grande ouverte maintenant, faisait un contraste incongru avec les yeux clos, le corps immobile et dur. Elle semblait défier la mort en hurlant, alors que le reste du corps était résigné à sa fin.
Thorvald introduisit le crayon entre les lèvres, attira l’attention de Mond.
— Regardez ça.
Une des dents de devant était ébréchée.
Faisant glisser le crayon sous la dent, le colonel dirigea la pointe vers la gorge, la fit pénétrer dans un trou perçant la trachée. Il lâcha le crayon, qui resta en place.
— Il a sans doute vu le tireur russe au dernier moment et a tenté de crier. La balle est entrée par la bouche, elle a cassé cette dent, elle a percé le fond de la gorge. Elle a touché le haut de la colonne vertébrale, elle l’a probablement sectionnée et a ricoché pour ressortir ici, sous l’oreille… (Du bout du doigt, Thorvald tapota le crayon planté dans le trou.) C’est le parcours de la balle. Le soldat avait le visage tourné vers le tireur quand il a été touché. Voyons…
Il tâta le trou sous l’oreille, retira le crayon de la bouche et le glissa dans le cou, massa de nouveau les muscles et la peau autour de l’orifice.
Thorvald examina le trou puis ôta le crayon et rabattit la couverture sur le corps. Toujours agenouillé, il promena son regard sur la rangée de cadavres recouverts et parut s’adresser à eux quand il dit :
— Les blessures à la poitrine ne m’ont pas appris grand-chose. Quand une balle transperce les muscles du torse et les organes, elle se balade beaucoup, mais… regardez ici, caporal.
Il releva une des couvertures pour révéler la plaque blême d’une poitrine, traça du doigt un cercle autour de la blessure.
— Tous les orifices d’entrée sont ronds, fit-il observer. Ce qui indique un angle de pénétration de quatre-vingt-dix degrés…
Il indiqua les contusions formant un anneau bleu et rouge autour du trou.
— Vous voyez ça ? Quand la balle pénètre, la peau s’étire, elle est éraflée. Puis elle se rétracte et laisse ce cercle autour de l’orifice. L’abrasion, comme pour toutes les autres blessures à la poitrine, est symétrique.
Le colonel recouvrit le cadavre, se redressa pour soulager son dos. De son crayon, il montra la rangée de corps et soupira.
— Les blessures à la tête ne nous sont d’aucun secours. Excepté la dernière. La balle qui a pénétré par la bouche nous donne une trajectoire rectiligne. Sur cette base, je suis incapable de dire dans quelle direction le soldat regardait quand il a été touché. L’emplacement de l’orifice de sortie, juste sous l’oreille, m’indique en revanche que son regard était parallèle au sol. S’il avait regardé vers le haut, le trou de sortie aurait été plus bas dans le cou.
Se fondant sur l’angle de l’orifice de sortie du dernier cadavre, ainsi que sur l’aspect rond et régulier des orifices d’entrée pour les blessures à la tête et sur les anneaux d’abrasion des blessures à la poitrine, Thorvald déduisit que les tireurs russes ne se trouvaient pas dans les bâtiments, mais au même niveau que leurs victimes. Si les Russes avaient été plus haut, plus bas ou sur le côté par rapport aux cibles, les anneaux d’abrasion auraient été plus larges sur le côté des orifices d’entrée, comme une entaille ou une éraflure, les trous auraient été ovales et non pas ronds. Tenant compte de la précision des coups, Thorvald estima que la distance était moyenne pour un tireur d’élite, environ trois cents mètres. Il y avait au moins deux Russes opérant dans le secteur : un guetteur et un tireur. Ils étaient bons, ces rouges : selon le capitaine Manhardt, les cibles ne s’étaient exposées
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