La guerre des rats(1999)
Pourtant, le long d’une ligne en zigzag, neige et briques semblaient disparaître. Il doit y avoir un creux, estima Nikki. Une tranchée.
— Oui, je l’ai.
— Suivez-la. Trouvez-les. J’ai aperçu l’éclair d’un canon de fusil dans cette tranchée.
Nikki plissa les yeux. La zone qu’il scrutait était dans l’ombre, à quatre cents mètres de distance, au moins, et il ne savait pas ce qu’il cherchait. Des hommes, oui. Mais que verrait-il ? Un canon de fusil ou un visage à cette distance ? Impossible.
Contenant sa frustration, il cessa de chercher des objets et des formes pour s’efforcer uniquement de repérer un mouvement. Quelques instants plus tard, il vit une tache grise bouger au-dessus de la ligne de la tranchée. Un casque ! Il vient par ici !
Les tireurs embusqués russes font un dernier tour de leurs lignes avant de battre en retraite. Ils font tinter les boîtes de conserve, attendent de voir apparaître une cible. S’ils en ont l’occasion, ils tirent puis continuent à remonter. Unité 5, 4, maintenant 3, ensuite 2. Juste devant nous.
— Je l’ai ! murmura Mond, les yeux rivés au casque. Là-bas ! Ils sont deux ! Deux qui filent dans la tranchée !
Nikki savait que Thorvald scrutait lui aussi la zone avec la lunette de son fusil, qui lui offrait une image plus nette mais un champ plus restreint que les jumelles.
— La dernière maison, colonel. Vous la voyez ? Descendez de cinq mètres. Un petit cratère, d’où dépasse une roue de wagon…
— Oui.
— Toujours sur la gauche, un tas de madriers sous un morceau de métal…
— Oui.
— Dix mètres plus bas. Une citerne, ou un tonneau…
— Oui, oui.
— Juste en face de la tour, le portrait de Staline. Cinq mètres de plus sur la gauche. Ils sont là, derrière un tas de briques.
Thorvald resta silencieux ; Nikki attendait.
— Oooui, fit enfin le colonel.
— Vous les avez ?
— Ne parlez pas, dit Thorvald d’une voix lointaine.
Fasciné, le caporal avait l’impression de partager le pouvoir et l’art de tuer du maître de Gnössen. Il frissonna, saisi d’une excitation que le colonel n’éprouvait pas, il le savait.
Les tireurs russes firent halte devant l’unité 2, à trois cents mètres de distance, et se séparèrent. L’un d’eux alla se poster dix mètres plus loin à droite dans la tranchée. Ils n’étaient guère plus que deux petits points dans les jumelles, mais Nikki avait l’impression de les voir avec l’œil de Dieu. L’un des casques disparut sous le bord de la tranchée, l’autre demeura visible. Celui qui se tient debout est le tireur, pensa Nikki. L’autre est le guetteur. Il s’est baissé pour poser son fusil, prendre la ficelle et son périscope. Est-ce que Thorvald fait le même raisonnement ? Est-ce qu’il suit leurs mouvements, devine ce qu’ils sont en train de faire, suppute ce qu’ils feront ensuite ? Nikki ne pouvait poser la question.
Il aurait voulu quitter un instant les Russes pour regarder les soldats de l’unité 2, mais il savait qu’il lui faudrait trop de temps pour retrouver ensuite les minuscules formes de l’ennemi lointain. Il se concentra sur le point gris se détachant sur un fond blanc et brun. L’autre tâche n’avait pas réapparu à sa droite. Oui, c’est bien lui le tireur, mais offre-t-il à Thorvald une cible suffisante ? Sa tête dépasse-t-elle assez de la tranchée ? Thorvald ne gâchera pas tous nos efforts pour faire simplement ricocher une balle sur un casque.
Pendant deux minutes, ils observèrent les Russes. Le guetteur, tapi sous le bord de la tranchée, regardait dans son périscope. Le tireur, jambes fléchies, attendait que son camarade le prévienne avant de se redresser pour porter l’œil à son fusil.
Thorvald rompit le silence :
— Les autres ne mordent pas à l’hameçon.
Mond céda au découragement. Tout ce temps passé à grelotter sur le sol froid, à dormir sous les linceuls de soldats morts, pour revenir bredouilles ?
— Nikki, à quelle distance pouvez-vous lancer une pierre ?
Il savait ce que Thorvald voulait de lui. Les soldats de la tranchée ne se laissaient pas prendre au stratagème russe, ils avaient trop entendu la boîte de conserve, ils ne lèveraient pas la tête pour regarder. Les Allemands attaquaient, il était impossible que les Russes tentent une opération de commando contre leur tranchée, ces hommes le savaient. On les emmerde, les tireurs embusqués ruskoffs, pensaient-ils. On
Weitere Kostenlose Bücher