La guerre des rats(1999)
l’initiative.
— Vas-y doucement. Laisse-le venir à toi.
Zaïtsev écoutait. Chacun de ses hommes avait raison ; chacune des méthodes proposées avait marché à un moment ou à un autre. Utilise un mannequin, fabrique de fausses positions de tir, fais des prisonniers, mets-le en rogne, approche-toi de lui furtivement, suis-le, attire-le à toi, fais-le sortir de son trou, etc. Ainsi s’exprimait la fascination pour le duel de tireurs d’élite, petites batailles qui ne figureraient jamais dans les livres de stratégie. On ne pouvait se fonder sur aucune manœuvre classique ou historique, comme pour les grandes batailles de chars en terrain découvert ou les campagnes d’infanterie. Il n’y avait pas de « défense du hérisson » prescrite contre un encerclement, pas de mouvement pour prendre de flanc une armée, ou couper des lignes de ravitaillement, pas de troupes d’assaut lancées sur une forteresse ennemie. C’était un duel primitif, intuitif : chasseur contre chasseur, mais aussi proie contre proie. Chaque affrontement tenait son caractère de la personnalité des duellistes, et son issue dépendait de ces personnalités. Chacun des adversaires ne portait qu’un fusil. Ils opéraient sur le même terrain, sous le même ciel. Les possibilités et les dangers étaient aussi également répartis qu’ils peuvent l’être dans une guerre.
Zaïtsev prêta une oreille attentive à ses anciens élèves, n’entendit rien qu’il ne sût et n’eût déjà envisagé lui-même. Il décida de ne pas dresser de plan pour l’instant. Il valait mieux se familiariser d’abord avec la façon d’opérer de cet Allemand. Qu’est-ce qu’il essaiera sur moi ? Il bougera, il restera au même endroit ? Il se cachera, il se fera voir ? Il…
Suffit, pensa-t-il, et il avala une dernière gorgée de vodka. Je connais tous les stratagèmes, toutes les feintes. Je les ai enseignés.
Il renvoya les lièvres à l’usine Lazur après les avoir assurés qu’il les tiendrait au courant et solliciterait leurs conseils. Il ajouta qu’il recevrait volontiers toutes les informations qu’ils glaneraient sur une présence inhabituelle de tireurs d’élite nazis dans leurs secteurs.
Viktor partit pour sa chasse nocturne. Quelques minutes plus tard, Tania revint dans le bunker.
Elle se tint un instant sur le seuil de l’abri sans dire un mot. Bien qu’elle n’y eût pas été conviée, elle donnait l’impression que cette pièce lui appartenait, comme si c’était sa propre chambre. Elle s’avança vers Zaïtsev, le regard noué au sien, passa devant puis derrière lui. Il se tourna pour continuer à lui faire face, imitant la jeune femme comme si une force le faisait pivoter en même temps qu’elle. Elle ôta son manteau, le tint à bout de bras en continuant à tourner, le lâcha, déboutonna sa veste. Zaïtsev fit de même et ils jetèrent tous deux leurs vêtements au centre de leur orbite, comme s’ils lançaient des fleurs sur un étang.
Deux heures plus tard, Tania sortit furtivement. Ils s’étaient tous deux rhabillés en silence, tirant leurs habits du tas dans le noir. Un de ces jours, pensa-t-il en riant, elle quittera le bunker avec mon pantalon sur elle. Vaudrait mieux que je prépare une bonne explication pour Viktor.
Zaïtsev se réveilla tard sur son tapis de couchage. Une lumière grise pénétrait dans l’abri en même temps que le froid. Il consulta sa montre : 6 h 45. Il se frotta les yeux, se gratta la peau pour chasser le désagrément d’avoir dormi par terre, dans les courants d’air.
Il avait la tête qui tournait d’avoir fait l’amour et trop bu de vodka. Après avoir allumé la lanterne, il prit dans son sac un morceau de pain et le mâcha distraitement. Où commencer ? se demanda-t-il. Où chercher un maître tireur qui me cherche ?
Il résolut de retourner dans le secteur 2, au Mamayev Kourgan, où lui et Tania avaient rencontré Thorvald la veille. S’il avait alors été au courant de la présence du « professeur », il aurait éloigné Danilov et se serait occupé de lui tout de suite avec Tania.
Avec Tania. Ces mots le surprirent un peu. Oui. Elle est assez bonne pour cela. Je combattrai avec elle à mes côtés, maintenant.
Allez, en route, pensa-t-il. Je passe chercher Tania à la Lazur et nous commencerons par chercher ce colonel SS dans son secteur…
Viktor pénétra en trombe dans l’abri.
— Vasha ! Les Boches ont attaqué Octobre-Rouge. En force !
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