La guerre des rats(1999)
les aura dans quelques minutes, quand nos chars écraseront leur position. Pas la peine de regarder.
Thorvald ne pouvait pas tirer. Pas encore.
Il fallait qu’un soldat allemand lève la tête.
Il fallait un nouveau mystère, un bruit différent dans les gravats.
Le maître tireur avait besoin d’un sacrifice.
Nikki envisagea un court instant de refuser, mais sa répugnance à obéir s’envola en même temps que ses pensées vers la ferme de Westphalie, vers son père et sa sœur.
Je suis sans défense, pensa-t-il. Quelle importance ? Merde, il ne reste plus rien de moi à défendre.
— À quelle distance ? demanda de nouveau Thorvald.
— Suffisamment loin.
Le caporal posa ses jumelles, s’éloigna de la fenêtre, ramassa un morceau de brique qu’il aurait bien en main. Il balança le bras en arrière.
— Maintenant, murmura-t-il.
Il jeta son projectile de toutes ses forces. La brique passa au-dessus des têtes des soldats allemands de la tranchée comme un ange de la mort, petit et dur. Nikki ne la vit pas tomber, mais sut qu’il l’avait lancée assez loin.
Il resta à un mètre de la fenêtre, de peur de troubler la concentration de Thorvald en se rapprochant.
Quelques secondes seulement après que Nikki eut jeté la brique, le colonel fit feu. Sa main droite lâcha la détente, se porta à la culasse, redescendit dans un mouvement si rapide qu’elle n’était plus qu’une tache floue. Il tira une seconde fois au moment où la douille fumante de la première balle claquait sur le sol.
Thorvald éjecta la seconde douille, regarda dans sa lunette. Puis il baissa son fusil et roula sur le côté pour récupérer les deux douilles.
Dehors, les obus des chars et des mortiers explosaient au contact du sol. Le tumulte du combat, que Nikki n’avait pas entendu pendant plusieurs minutes, envahit soudain sa conscience. Il se demanda à quelle distance se trouvait maintenant la vague allemande.
Thorvald se leva. Le cercle que l’oculaire de sa lunette avait imprimé dans sa chair autour de son œil donnait l’impression qu’il portait un monocle. Il fit tinter les douilles au creux de sa main comme des clochettes, regarda pardessus le dépôt de chemin de fer.
— Bien, caporal.
Nikki tendit le bras pour prendre le fusil.
— Je le garde encore un moment, dit Thorvald. J ‘ai une corvée de plus pour vous.
18
Quand Zaïtsev revint à son abri après avoir quitté le QG de Tchouikov, il se retrouva en pleine célébration.
La fête, organisée par Medvedev, avait commencé sans l’invité d’honneur. L’Ours avait informé tous les chefs de secteur qu’il avait pu trouver de la distinction décernée à son ami, précisant que si Vasha était le destinataire de la médaille, ils l’avaient tous gagnée.
Écartant la couverture, le Lièvre découvrit Viktor, Tania, Shaïkine, Morozov, Tchekov, Voïachkine et Danilov brandissant des bouteilles de vodka d’un demi-litre que Tchebibouline leur avait apportées avec la soupe du soir.
Les tireurs d’élite admirèrent la médaille, levèrent leur bouteille pour porter un toast, assenèrent des claques dans le dos de Zaïtsev. Après une demi-heure de hourras, l’adjudant-chef transforma la fête en réunion en avisant les lièvres de l’arrivée du maître tireur nazi et de sa mission : tuer leur chef. Danilov eut un rire d’ivrogne et déclara qu’ils régleraient rapidement le compte de ce salaud de Boche. Zaïtsev rappela au commissaire que l’Allemand possédait cet avantage d’avoir pu prendre connaissance des articles que Danilov avait écrits dans Pour la défense de notre pays sur la tactique du Lièvre ce dernier mois, avec en prime une photographie de Zaïtsev.
Un moment ébranlé, Danilov retrouva son sourire et agita sa bouteille en braillant : « Tant mieux ! » Les tireurs attendirent qu’il développe, mais le zampolit se coula sous la couverture et sortit dans la nuit.
La discussion se prolongea jusqu’à minuit, chaque homme exprimant son idée sur la façon de prendre au piège le colonel de Berlin.
— C’est qu’un prof, pas un chasseur. Va le trouver, défie-le !
— Non, prends ton temps. Use-le. Piège-le.
— Mets à profit ta connaissance de la ville. Lui, il sera perdu la plupart du temps.
— Attire-le dans mon secteur. On s’occupera de lui là-bas.
— Taquine-le, agace-le, déconcentre-le.
— Trouve-le et tue-le ! Où est le problème ?
— N’attends pas. Prends
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