La guerre des rats(1999)
pour le moment. Je vais la percer d’une balle. Je vais en faire la clef qui ouvrira le cercueil dans lequel je suis étendu.
Et dans l’astucieux petit tunnel, en bas et à droite ? Y a-t-il une autre tête qui m’attend ? Descends le réticule, fais-le glisser vers la droite, promène-le sur les pierres. Oui, tu y es. Le tunnel. En cuivre brillant. Regarde bien. Non, personne. Mais je sais que quelqu’un est là, à proximité. Remonte vers l’entaille, maintenant. Depuis quand il est là, celui-là ? Aucune importance, il y est maintenant, et je suis là, moi aussi. Mes yeux caressent son casque comme sa peau. Reste quelques secondes encore, malin petit Russe. Tel un serpent, je raidis mes anneaux, je me prépare à frapper. J’abats d’abord celui de l’entaille, la cible haute. Pull ! Puis je tire la culasse en arrière et j’abaisse mon fusil vers la douille d’obus. Mark ! Deux balles. Que le Lapin reçoive la première ou la seconde, peu importe. Les deux têtes, en haut et en bas, exploseront comme un melon tombant par terre. Regarde d’abord celui de l’entaille. Il a du cran, ce type, avec le soleil dans le dos, de promener son casque devant ma lunette. Il ne peut pas me voir. Aucun reflet ne s’échappe de mon trou. Je suis enveloppé de noir, comme lorsque je porterai mon nouvel uniforme, à Berlin. Qu’est-ce qu’il regarde ? On dirait qu’il… Ah ! c’est le canon de son fusil qu’il vient de caler dans l’entaille. Il est dirigé vers ma gauche. Un coup de feu ! Il a tiré sur le bunker. L’imbécile. Il me croit assez bête pour me cacher là-dedans. Ils s’imaginent qu’il n’y a pas de Thorvald ? Comme il n’y a pas de Lapin ? Une balle sur une casemate vide, quel gaspillage ! Eh bien, tu vas mourir, petit Russe de l’entaille. Bouge encore une fois et reste là, laisse-moi poser mon réticule sur ton casque comme une croix sur ta tombe. Mais d’abord, Heinz, vite ! Entraîne-toi à passer de l’entaille au tunnel. Comme au tir aux pigeons. Tu commences avec le fusil braqué vers le haut. Pull ! La culasse, maintenant ! En arrière, en avant, vitesse et équilibre. Abaisse ton canon, à droite, là ! Parfait. Mark !
Attends, Qu’est-ce que c’est ? Oui, oui, oui. Il y a quelqu’un au bout du tunnel, à présent. Un cercle de verre au-dessus d’un point noir. Une lunette et un fusil tournés vers moi, vers mes ténèbres. Tiens donc. Ils ont finalement trouvé ma cachette. Et ils se préparent. Ce coup tiré sur le bunker était une autre ruse pour semer la confusion dans mon esprit. Mon ami du tunnel, ne bouge pas. Reste derrière ton collimateur. Je vais dissiper toute confusion dans un instant.
Cette lunette dans la douille m’observe, elle attend que je tire le premier. C’est le Lapin qui me guette, j’en suis sûr. Enchanté de faire enfin ta connaissance, maître russe. Juste avant de te dire adieu. Poétique, vraiment, et héroïque, d’une certaine façon. Tout dépend de la manière dont on racontera l’histoire, plus tard.
Tu espères peut-être repérer l’éclair de mon coup de feu quand je moucherai la tête de l’entaille, Lapin. Peut-être. C’est sûrement ton plan. Mais me verras-tu, moi, dans l’obscurité de ma tanière ? Non. Il te faudra tirer à l’aveuglette. Un tir parfait, guidé seulement par un bref jaillissement de lumière bleue, une fraction de seconde. Je ne crois pas que tu aies cette adresse. Tu es plus un chasseur, un homme de la nature, viscéral et stupide, qu’un champion de tir expérimenté.
Nous voilà donc au finale de notre duo, Lapin. Je te propose d’en faire une course. J’accepte même un handicap. Voici les règles : si, par une chance miraculeuse, tu regardes encore au même endroit quand je tuerai ton compagnon avec ma première balle, l’éclair de mon coup de feu te révélera ma position. Tu auras ensuite trois secondes pour trouver ma tête dans le noir avant que j’abaisse mon arme pour trouver la tienne dans la lumière. La main la plus rapide, l’œil le plus sûr et le meilleur tir remportent la victoire. Tout au gagnant.
Prêt, Zaïtsev ? Moi, Heinz von Krupp Thorvald, le maître tireur allemand, je vais te montrer, par deux fois, ce que signifie vraiment « un homme, une balle ». Pull ! L’entaille, cible haute. Mark ! Le tunnel, cible basse.
C’est un concours que tu ne peux gagner, Lapin.
Allez, petits casques dans mon collimateur. Il est temps pour Nikki et moi de rentrer à la
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