La guerre des rats(1999)

vision se fut ajustée, Nikki découvrit trois hommes, dont celui qui portait un uniforme allemand trop grand pour lui. Le soldat fit un pas vers lui, approcha son visage et sourit, la bouche pleine de dents en or. Il dégaina un long couteau, en pressa la lame sous le menton de Nikki. Son visage emplissait tout le champ de vision du caporal.
    — Il n’y a pas beaucoup de temps, fit une voix rocailleuse derrière la lumière dans un allemand déformé. Celui-là veut te tuer. Je le laisse faire si tu ne me donnes pas une raison de l’en empêcher.
    Mond fixa le visage penché au-dessus de lui. Les dents jaunes disparurent derrière des lèvres minces et l’homme respira bruyamment par le nez.
    Nikki scruta la pénombre pardessus la tête. À la lueur de la torche, il s’aperçut qu’il se trouvait dans l’un des wagons à charbon. Ces trois types formaient un commando qui s’était glissé derrière les lignes allemandes pour capturer un ennemi et l’interroger. Ils avaient probablement sectionné le câble puis avaient attendu dans le wagon pour tendre une embuscade au soldat qui viendrait réparer. Ils ont tué le bleu ; maintenant, ils me tiennent, pensa sombrement Nikki.
    — Vous me tuerez de toute façon, répliqua-t-il.
    La lame du couteau glissa le long de sa gorge, passa sur sa pomme d’Adam, revint sous la mâchoire.
    Nikki déglutit, donna son nom, son grade, son matricule. Au-dessus de lui, le visage le fixait dans les yeux, comme un chien attentif qui ne comprend pas.
    — Caporal, je vais te rendre les choses faciles, reprit la voix derrière la lumière. Nous savons que vous envoyez des renforts aux Barricades. Plusieurs bataillons. Nous les surveillons. Le jeune qui est venu ici avant toi était nerveux et bavard, mais il ne savait rien d’intéressant. Toi, sûrement que si. Dis-moi quelque chose d’intéressant, caporal.
    Nikki sentit la lame frôler son oreille. Un éclair doré brilla entre les lèvres flottant devant lui. L’homme prononça quelques mots d’une voix sifflante ; du sang coula le long du cou de Mond.
    — Il veut que tu saches qu’il te tuera dans cinq secondes, traduisit l’interprète. Il en meurt d’envie. Je te conseille de parler tout de suite, caporal.
    Toute de suite, pensa Nikki. Tout de suite ! Mon Dieu, c’est une mort à laquelle je ne m’attendais pas. La gorge tranchée, pieds et poings liés, comme un porc à l’abattoir. Tout de suite ! Qu’est-ce que je peux leur dire ? Qu’est-ce que je sais d’intéressant ? Qu’est-ce qui intéresse ces dingues ? Parle, Nikki. Dis n’importe quoi. Quelque chose d’intéressant finira bien par sortir. Non, tais-toi. Ce sont les traîtres et les lâches qui parlent. Contente-toi de mourir. C’est fini. Ils te tueront de toute façon. Oh ! mon Dieu…
    Le couteau quitta la gorge de Nikki, le visage passa derrière lui. Le caporal regarda les deux autres hommes, spectres dans la lumière de la lampe braquée vers le bas. Ils ressemblaient à tous les autres Russes qu’il avait vus : gros manteaux molletonnés, ceintures cartouchières, grenades accrochées au corps. Tous deux portaient la toque russe en fourrure aux oreillettes relevées.
    La lumière revint sur son visage, l’aveugla. L’homme au couteau plaqua une main sur le nez et les yeux de Nikki, tira brutalement en arrière. Le cou de Mond se tendit.
    — Caporal, nous devons partir, maintenant. Je te laisse une dernière chance.
    Nikki inspira péniblement par la bouche en découvrant ses dents. C’est fini. Fini. Je n’ai rien à leur dire. Rien.
    Un grognement s’échappa de sa gorge offerte quand la lame s’y posa.
    La lumière s’éteignit.
    Nikki se détendit.
    Soudain, comme une balle, comme un ange, une pensée lui vint.
    — Thorvald.
    — Quoi ? fit la voix. Qu’est-ce que tu as dit ?
    — Thorvald, répéta Mond. Il est ici.
    La voix donna un ordre en russe ; la lumière revint dans les yeux de Nikki. La main, derrière lui, relâcha sa pression sur son visage.
    — Qui est Thorvald ?
    Nikki ferma les yeux pour réfléchir. Dis-leur, c’est sans importance. Thorvald n’est qu’un homme. Tu ne dévoiles pas d’importants mouvements de troupes ou des plans secrets. Dis-leur. Ça ne leur servira à rien.
    — Thorvald est un colonel, haleta-t-il. Un colonel de SS. Il est envoyé de Berlin pour tuer l’un de vos tireurs d’élite.
    Nouvel ordre en russe. L’exécuteur aux dents en or passa devant Nikki, fit tourner le couteau