La guerre des rats(1999)
dans sa main.
— Lequel ? demanda la voix.
Mond cligna des yeux dans la lumière de la lampe.
— Zaïtsev. Le Lièvre.
Les Russes échangèrent des murmures. Le sourire
doré réapparut devant le visage de Nikki, bloquant la lumière. L’homme penchait la tête, offrant de nouveau l’image d’un chien attentif.
— Otkuda ty znayesh pra Zaitseva ? fit le sourire.
— Qu’est-ce que tu sais de Zaïtsev ? traduisit une autre voix.
— Il y a des articles dans vos journaux. Ils nous disent tout sur lui.
Les trois Russes tinrent un nouveau conciliabule et celui qui portait l’uniforme allemand pointa plusieurs fois son couteau vers Mond. Un autre secoua la tête. Le troisième, l’interprète, écoutait les arguments de ses deux camarades. Manifestement, c’était à lui de décider.
L’homme aux dents en or s’agenouilla près de Nikki, s’appuya sur son couteau, l’enfonça dans le plancher du wagon.
— Il est arrivé quand, ce colonel de SS ?
— Hier.
— Il est bon ?
Nikki acquiesça de la tête, réveillant la douleur de son cou.
— Il prétend que oui. Je ne sais pas, je ne l’ai pas vu tirer. Mais il est le directeur de l’école des tireurs d’élite de Berlin, l’école spéciale de Gnössen. Les généraux l’ont réclamé, ils l’ont fait venir par avion pour qu’il liquide Zaïtsev. Ils disent qu’il est le meilleur. C’est tout ce que je sais.
— Le directeur de l’école des tireurs d’élite allemands ? répéta le traducteur.
Il s’adressa à ses camarades. L’homme aux dents en or plissa le front, secoua la tête près de l’oreille du caporal.
— Hmm, c’est intéressant, fit d’un ton amusé celui qui semblait être le chef du commando. Un maître tireur allemand envoyé de Berlin pour tuer le maître tireur russe. (Il croisa les bras sur la poitrine.) Mais je ne crois pas que ce soit tout ce que tu sais, caporal…
Mond chercha hâtivement quelque chose d’autre, un détail qui ferait pencher la balance. Il venait de faire la connaissance de Thorvald, il ne savait que ce qui avait été discuté dans le bureau d’Ostarhild.
— Thorvald se traite lui-même de lâche. Il veut que je lui serve de guide.
L’interprète s’esclaffa, traduisit aux deux autres, fit signe à celui qui se trouvait près de Nikki d’approcher. Les deux hommes en uniforme russe passèrent des mitraillettes à leur épaule tandis que celui qui portait l’uniforme allemand soulevait un long fusil à lunette et approchait son couteau du prisonnier.
Il se baissa, coupa la corde entravant les mains de Mond, lui laissa les pieds liés. Il braqua le canon du fusil vers le front de Nikki, ramena la culasse en arrière, saisit au vol la balle éjectée, la lança au caporal.
— Vot, dai etomu trusu. A sledushuyu on poluchit v lob.
Il rengaina son couteau, se tourna vers la porte coulissante du wagon.
L’interprète fit un pas vers Nikki, éteignit la lampe et traduisit dans le noir :
— Il a dit : « Donne ça au lâche. La prochaine, il la recevra dans le front. » Adieu, caporal.
Les trois Russes sautèrent hors du wagon.
Nikki dénoua la corde entourant ses pieds. Une fois libre, il se traîna jusqu’à la porte pour scruter la nuit, les sens en alerte, guettant une trace de ses ravisseurs dans le dépôt de chemin de fer. N’ayant pas d’autre choix, il se glissa hors du wagon et marcha à découvert.
Ils sont partis, se dit-il. Ils m’ont laissé en vie.
Il chassa l’air de ses poumons, sentit le métal chaud de la balle russe au creux de sa main. Il pressa son index contre la pointe, songea avec quelle facilité elle devait percer la chair. Il la laissa tomber.
À quatre pattes dans le noir, il chercha à tâtons jusqu’à ce qu’il ait retrouvé sa torche électrique, sa pince à dénuder et son rouleau de chatterton à l’endroit où il les avait laissés.
Malgré les palpitations de sa tête, il répara le câble sectionné avant de repartir.
12
Heinz Thorvald lorgnait son image dans le miroir qu’il tenait à la main. C’était son troisième jour sans se raser depuis qu’il avait quitté Gnössen. Laisse-toi pousser la barbe tant que tu seras ici, avait-il décidé. Ce vent russe charrie des aiguilles.
Il inspecta son corps. Il dormait toujours nu : il avait l’impression d’avoir plus chaud au contact direct des couvertures. Il avait bien dormi la veille sur le lit de camp que le lieutenant Ostarhild avait installé pour lui dans
Weitere Kostenlose Bücher