La lance de Saint Georges
d’Astarac ne prêta pas
attention aux railleries. Il passa derrière la ligne jusqu’à l’endroit où il estimait
qu’il serait exactement en face des hommes du prince. Là, il trouva par hasard
une ouverture, y engagea son cheval et laissa ses hommes le suivre comme ils
pouvaient.
À trente pas sur la gauche de Vexille montait un conroi
portant comme blason des faucons d’or sur champ d’azur. Vexille ne remarqua pas
la bannière de messire Guillaume et celui-ci ne vit pas l’éalé de son ennemi.
Les deux hommes regardaient vers le haut de la colline en se demandant quand
les archers allaient tirer. Ils admiraient la bravoure des survivants de la
première charge qui se retiraient de quelques pas, se reformaient et
repartaient à l’assaut de la ligne anglaise. Aucun d’entre eux ne menaçait
d’enfoncer l’ennemi, mais ils continuaient à essayer même quand ils étaient
blessés et que leurs destriers boitaient.
Quand la deuxième charge française approcha de la ligne des
arbalétriers tués par les archers, les trompettes se mirent à sonner et les
chevaux rabattirent leurs oreilles en essayant de se mettre au petit galop. Les
hommes retinrent leurs montures et se tournèrent maladroitement sur leur selle
pour essayer de comprendre ce que signifiait cette sonnerie. Ils virent les
derniers chevaliers français, le roi et les guerriers de sa maison ainsi que le
roi aveugle de Bohême et ses compagnons s’avancer en trottant pour apporter
l’appoint de leurs armes. Le roi de France chevauchait sous sa bannière bleue
ornée de fleurs de lys, tandis que le drapeau du roi de Bohême représentait
trois plumes blanches sur champ cramoisi. Tous les cavaliers de France étaient
engagés. Ceux qui battaient les tambours étaient en sueur, les prêtres priaient
et les trompettes du roi sonnèrent une grande fanfare pour annoncer la
destruction de l’armée anglaise.
Le comte d’Alençon, frère du roi, qui avait entamé cette
charge folle fatale à tant de Français, avait été tué lui aussi. Il s’était
cassé la jambe quand son cheval était tombé et une hache anglaise lui avait
fendu le crâne. Les hommes qu’il avait conduits, du moins ceux qui vivaient
encore, étaient étourdis, percés de flèches, aveuglés par la sueur et épuisés,
mais ils continuaient à se battre, faisant pivoter leurs chevaux fatigués pour
assener des coups d’épée, de masse et de hache aux hommes d’armes, lesquels
paraient les coups avec leurs boucliers et tendaient leurs épées vers les
jambes des chevaux. Puis une nouvelle sonnerie de trompette retentit plus près
de la mêlée. C’était un appel urgent de trois notes. Les cavaliers comprirent
qu’on leur ordonnait de se retirer. Non pour faire retraite, mais pour laisser
place au grand assaut qui se préparait.
— Que Dieu protège le roi, dit Will Skeat d’un air dur.
Il lui restait dix flèches et la moitié de la France montait
vers lui.
Thomas remarquait le rythme étrange de cette bataille avec ses
accalmies et la soudaine résurgence de l’horreur. Les hommes se battaient comme
des démons et paraissaient invincibles, puis, quand les cavaliers se retiraient
pour se reformer, ils s’appuyaient sur leurs boucliers et leurs épées comme
s’ils étaient proches du trépas. Les chevaux revenaient, des voix anglaises
lançaient des avertissements et les hommes d’armes se redressaient et levaient
leurs lames ébréchées. Le vacarme était assourdissant sur la colline. Les
bombardes tonnaient, les chevaux hennissaient, les armes produisaient un bruit
d’enclume, les hommes haletaient, hurlaient et gémissaient. Les chevaux à
l’agonie montraient leurs dents et frappaient l’herbe. Thomas cligna des yeux
pour faire tomber la sueur et regarda la longue pente couverte de chevaux
morts – il y en avait des vingtaines, des centaines peut-être – et
au-delà, approchant des corps des Génois tués par les flèches, des cavaliers
plus nombreux encore avançaient sous un nouveau déploiement de brillantes
bannières. Où était messire Guillaume ? Était-il vivant ? Thomas
comprit alors que la terrible première charge, où les flèches avaient abattu
tant de chevaux et d’hommes, n’avait été qu’un préambule. La véritable bataille
commençait.
— Will ! Will ! Sir William ! appela la
voix du père Hobbe quelque part derrière les hommes d’armes.
— Par ici, mon père !
Les hommes d’armes laissèrent passer le
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