La lance de Saint Georges
où passait Thomas. Peu après, il se trouva dans la rue principale de La
Roche-Derrien, qui redescendait vers l’endroit où brûlait un feu de veille,
devant la porte sud. Thomas se replia dans la ruelle qui longeait l’église car
la rue était pleine d’hommes, mais tous couraient vers la partie menacée de la
ville et, quand il regarda à nouveau, elle était vide. Il n’apercevait que deux
sentinelles sur le rempart, au-dessus de l’arche de la porte. S’adressant à ses
hommes, il leur dit :
— Ces deux-là vont avoir la peur de leur vie, nous les
tuons et nous ouvrons la porte.
— Il y en a peut-être d’autres, il doit y avoir une
salle de garde, fit observer Sam.
— Eh bien, nous les tuons aussi… maintenant, en
avant ! dit Thomas.
Ils s’avancèrent dans la rue, firent quelques enjambées et
tendirent leurs arcs. Les flèches volèrent et les deux sentinelles tombèrent.
Un homme sortit de la salle de garde, située dans la tour de la porte, et vit
les archers mais avant qu’ils aient pu tirer il s’était replié et avait
barricadé la porte.
— Elle est à nous ! cria Thomas et il se précipita
vers l’arche.
La salle de garde restant fermée, rien ne pouvait empêcher
les archers de retirer la barre et d’ouvrir les deux battants de la grande
porte. Les hommes du comte virent la porte s’ouvrir, ils virent les archers
anglais se détacher devant le feu de veille et poussèrent depuis les ténèbres
un grand cri qui indiqua à Thomas qu’un torrent de troupes vengeresses
s’avançait vers lui.
Cela signifiait que, pour La Roche-Derrien, le temps des
larmes allait commencer, car les Anglais avaient pris la ville.
Jeannette s’éveilla au bruit d’une cloche qui carillonnait
comme si c’était la fin du monde, comme si les morts allaient sortir de leurs
tombes et les portes de l’enfer s’ouvrir toutes grandes pour accueillir les
pécheurs. Son premier mouvement fut d’aller auprès du berceau de son fils, mais
le petit Charles allait bien. Elle n’apercevait que ses yeux dans cette
obscurité que seul diminuait le rougeoiement des tisons dans la cheminée.
— Maman ! cria-t-il en se redressant vers elle.
— Ne t’inquiète pas, lui murmura-t-elle avant d’aller
ouvrir précipitamment les volets.
Une faible lueur grise paraissait au-dessus des toits, vers
l’est. Elle entendit un bruit de pas dans la rue, se pencha à sa fenêtre et
aperçut des hommes qui sortaient en courant de leurs maisons avec des épées,
des arbalètes et des lances. Au centre de la ville, une trompette appelait au
rassemblement, puis d’autres cloches se mirent à donner l’alarme dans la nuit
finissante. La cloche de l’église de la Sainte-Vierge était fendue et rendait
un son dur des plus terrifiants, un son semblable à celui d’une enclume.
— Madame ! s’écria une servante en entrant dans la
pièce.
Jeannette s’efforça de parler calmement :
— Ce sont sans doute les Anglais qui attaquent.
Elle ne portait rien d’autre qu’une combinaison de tissu et
sentit soudain le froid. Saisissant un manteau, elle s’en enveloppa, prit son
fils dans ses bras et lui dit pour essayer de le rassurer :
— Tout ira bien, Charles, les Anglais attaquent encore,
c’est tout.
Mais elle n’en était pas sûre. Les cloches sonnaient avec
tant de violence ! Ce n’était pas le battement mesuré qui était le signal
habituel d’une attaque. On aurait dit que, pris de panique, les hommes qui
tiraient sur les cordes espéraient repousser l’attaque par le bruit du tocsin.
Elle retourna à la fenêtre et vit les flèches anglaises filer au-dessus des
toits. Les gamins de la ville trouvaient amusant d’aller retirer les flèches
ennemies, mais deux d’entre eux s’étaient blessés en glissant des toits.
Jeannette songea à s’habiller, puis se dit qu’il fallait d’abord savoir ce qui
se passait. Elle confia Charles à la servante et descendit les escaliers en
courant.
À la porte de derrière, elle trouva une fille de cuisine.
— Que se passe-t-il, madame ?
— Une nouvelle attaque, c’est tout.
Otant la barre de la porte qui ouvrait sur la cour, elle se
précipita vers l’entrée privée de l’église Saint-Renan au moment même où une flèche
frappait la tour et tombait dans la cour. Ayant ouvert la porte, elle escalada
les échelles raides que son père avait installées. Ce n’était pas seulement la
piété qui avait poussé Louis Halévy
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