La lanterne des morts
l’arrêter, la transférer à la prison de la Conciergerie et la livrer au Tribunal révolutionnaire où officiait cet horrible Fouquier-Tinville?
On vint enfin le chercher, lui annonçant avec certains égards qu’il allait rencontrer le chef de la police secrète en personne.
– Gréville?… demanda-t-il.
Le policier sembla un instant étonné mais ne fit aucun commentaire.
Apercevant Gréville assis derrière un vaste bureau, Dawson ne put réprimer un haut-le-corps.
Le policier d’élite observa l’espion hors pair avec intérêt, puis:
– Je sais, vous me connaissiez sous le nom de Molière.
– Beau travail!… remarqua Dawson.
Mais au fond, cela l’intéressait moins qu’il ne paraissait, la question étant: si «Molière» était «Gréville», qui donc était «Léonore»?
Avec son esprit pénétrant, Gréville devina les tourments de l’Anglais:
– Ne vous torturez point ainsi, Dawson. Elle s’appelle effectivement Léonore Letessier, veuve d’un de mes hommes. Cessez également de penser qu’elle vous a joué, ce serait faux et pourquoi vous mentirais-je?… Nous sommes en quelque sorte confrères et vous savez que je possède toutes les cartes: j’ai arrêté vos gens, démantelé votre organisation et contrôle tout, même ce Belge nommé Van Eyck. Vous êtes en outre à ma merci, aussi devez-vous me croire sur ce point: Léonore sort d’ici et a contrarié mes plans pour vous sauver.
L'Anglais dressa l’oreille.
– Que voulez-vous dire?
Gréville hésita quelques instants, espérant jouer avec les nerfs de Dawson mais s’aperçut rapidement qu’il perdait son temps.
– Voyez-vous, Dawson, je vous tenais mieux encore que vous ne pouvez l’imaginer. J’avais ambitionné de vous faire croire à l’arrestation de la bande de ce «Molière», dont Léonore. Vous eussiez été affolé et je pouvais dès lors passer un marché avec vous: la vie de Léonore contre un certain renseignement. Et après: la guillotine pour étoffer mon rapport.
– Adroit. Et Léonore ne l’a point voulu ainsi?
– Eh bien non, cher confrère. Vous connaissez les femmes, je présume, et cela elle ne l’a pas voulu au motif que si elle n’a point mauvaise conscience à espionner vos secrets anglais, il n’est pas question qu’on joue avec votre amour.
Dawson, qui avait baissé ses défenses, ne tenta pas même de réprimer son sourire attendri.
Gréville poursuivit:
– Monsieur Dawson, je suis enchanté que Léonore vous aime d’amour tel que vous semblez l’aimer. Si, si!… Absolument enchanté, j’adore ce genre d’histoire… surtout chez les autres. Mais voyez-vous, votre passion me met dans une situation délicate, très délicate, me laissant démuni face à un insoluble problème. Aussi… Aussi, n’ayant guère le choix, je me vois dans l’obligation de vous proposer le plan de substitution mis au point par Léonore. Un plan qui repose entièrement sur la confiance qu’elle vous porte. Une confiance, dois-je le dire, que je suis loin de partager si complètement.
– Quel est ce plan?… demanda l’Anglais, troublé.
– Avant de vous répondre il faut que vous sachiez, monsieur, qu’en France, la famine guette.
– Je sais cela, Gréville, ne fréquentant point que les beaux quartiers.
– Ce que j’attends de vous concerne ce chapitre et revêt donc un aspect… d’humanité.
– Je ne comprends pas.
– Vous n’avez pas à comprendre. Voici la proposition, très risquée pour elle, de Léonore: vous envoyer en Angleterre, vous permettre de recueillir cette information vitale pour le peuple de France et revenir, avec la garantie de pouvoir vivre à Paris en toute liberté et sous ma protection.
– Vous me demandez de trahir mon pays, Gréville: rien moins que cela!… Et que risque Léonore?
– Bien que j’aie tenté de l’en dissuader, elle tient absolument à répondre de votre retour sur sa jolie tête.
– Pas question: oubliez ce marché.
– Impossible.
– Feignez de ne point avoir entendu pareille proposition.
– Dawson, j’aime beaucoup Léonore et je l’estime fort mais si je me trouve dans semblable situation, c’est bien sa faute et peu m’importe qu’elle le fasse par amour pour vous. Comprenez-moi: j’ai la tête de Léonore sur un plateau, des centaines de milliers de Français en péril de mourir de faim de l’autre et comme toujours, ce seront les bébés et les petits enfants qui périront les premiers.
Il ménagea un
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