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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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soir, Arsène revint. Il n’était pas seul. L’accompagnait un homme en blouse bleue, foulard rouge et casquette à pont qu’il fit asseoir dans le hall faisant fonction de salle d’attente. Arsène referma soigneusement la double porte capitonnée qui isolait le cabinet de travail. Le jour baissait et Raoul avait allumé la lampe électrique de bureau qui projetait une lumière verte au plafond et un cône de clarté sur le plan de travail. Par la fenêtre ouverte, l’air frais du soir entrait à flots ainsi que la rumeur de l’avenue Victor-Hugo toute proche, faite du bruit métallique des roues de fiacres et de l’échappement tumultueux des voitures automobiles. Des hommes et des femmes se rendaient vers leurs plaisirs du soir et de la nuit.
    — Patron, j’ai retrouvé Louis Manin. Il est devenu palefrenier dans un dépôt de fiacres. Vous pouvez l’interroger.
    Arsène avait le sens des situations. Quand il remplissait sa fonction de maître d’hôtel ou de chauffeur, il utilisait la troisième personne en s’adressant à celui qui était « Monsieur ». Dans le cadre de ses activités policières, Arsène désignait Raoul comme étant le patron et il le vouvoyait. Raoul, lui, le nommait Arsène et le vouvoyait dans la première situation, tandis que, dans la seconde, il le désignait par son patronyme, Champigny, et le tutoyait.
    — Je suis passé au Quai des Orfèvres et rue des Saussaies. Des deux côtés, on est sur l’affaire Curie. Des inspecteurs en civil se relaient devant l’appartement de la rue du Banquier loué par Langevin. L’alarme a été donnée par le concierge, dès que le bail a été signé voilà un mois. C’est un ancien sergent de ville, un vieux bonhomme qui observe tout. Un de ces braves sans lesquels Paris serait toujours à feu et à sang. Un vrai républicain.
    « Mme Curie a déjà visité l’appartement, un meublé. Elle a apporté du linge dans un grand panier. Voici trois jours, vendredi, elle est restée très tard en compagnie de Langevin. Elle est sortie tout juste à temps pour attraper le dernier train pour Sceaux, où elle habite maintenant avec ses deux filles et une gouvernante polonaise. Elle est donc très libre de ses mouvements. Langevin passe toutes les nuits rue du Banquier. Les soupçons semblent donc fondés. Il y a un détective privé qui planque aussi devant la maison et qui a appartenu pareillement à la police. Il a reconnu sans peine qu’il travaillait pour L’Action française  : Léon Daudet est sur la piste. Cela va faire du vilain dans pas longtemps. Il me semble que ces professeurs ont confondu un peu trop le mot chimie et le chaud mimi, si vous me permettez cette plaisanterie, patron.
    Dans sa fonction policière, Arsène Champigny se permettait de conclure ses interventions par des contrepèteries, dans lesquelles il brillait. Selon le rite, Raoul n’en souriait point et ne les relevait pas, sauf exception.
    — Mais toutes ces filatures vont finir par donner l’éveil. Il faut arrêter cela, Champigny !
    — Pas du tout, patron. Les deux inspecteurs et le détective privé sont planqués dans un bistrot juste en face de la maison et ils jouent aux cartes en surveillant les allées et venues du couple. À tour de rôle, l’un d’entre eux assure les filatures et renseigne les deux autres. C’est une planque dans les deux sens du terme. Ils sont bien organisés. Ils s’embêtent pas. Je les connais : réguliers mais flexibles. Du cousu main. Des professionnels. Excusez-moi, patron, mais l’inspecteur qui a du métier sait qu’encaisser entre deux cuites vaut mieux qu’enquêter entre deux…
    Raoul réfléchit. Il devait capter la confiance du seul acteur qui lui restait. Si Louis Manin savait quoi que ce soit, il fallait qu’il le dise. S’il se méfiait, ce serait l’impasse.
    — Comment as-tu retrouvé Manin ?
    — Sans problème. Il habite toujours à la même adresse dans le quartier des Batignolles. Il n’était pas chez lui. Il travaille au dépôt de fiacres, place de la Chapelle. Il est palefrenier. Tout de suite, il m’a expliqué que, depuis l’accident, il ne voulait plus conduire de voiture. J’ai attendu qu’il ait fini sa journée. Je l’ai invité à boire une fine au bistrot en face du dépôt. Je lui ai expliqué qu’on ne lui voulait aucun mal, que je n’étais pas de la police, que je travaillais pour une agence privée, que nous étions persuadés qu’il avait été

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