La nef des damnes
s’invectiva-t-il à voix haute pour se donner du courage. Tu veux savoir qui c’est ? Eh bien, regarde !
Il hésita encore, puis finit par tendre une main tremblante pour écarter le tissu goudronné. Le visage grimaçant du pilote apparut.
— Jacques ! Il a tué notre pilote ! s’exclama le gamin en reculant d’un pas. Mais pourquoi...
Il resta un moment hébété à contempler le cadavre. Essayant de comprendre tout ce qu’impliquait la perte d’un pilote dans ces eaux inconnues. Puis il s’invectiva à nouveau :
— Reste pas là, il faut prévenir le camp et messire Hugues et les autres !
Il tourna les talons et partit en courant en direction du camp.
L’appel rauque des cors sonnant l’alerte le fit accélérer plus encore et il se jeta dans les jambes d’une sentinelle en criant. Son émotion était si grande qu’il n’arrivait qu’à bredouiller le nom de Jacques. L’homme l’entraîna jusqu’à la tente du jarl.
45
Au sommet de la tour de pierre au nord de l’île, le feu venait de s’éteindre. Le vent soufflait en rafales. Des lames courtes et dures se brisaient sur la coque du paro, mais malgré cela Richard avait ordonné le débarquement.
— Vite, bande de marauds ! Plus vite ! gueulait-il aux hommes qui se laissaient glisser dans le canot que soulevaient les vagues.
Bravant la tempête, la petite embarcation atteignit la plage du Layet, débarqua ses hommes et fit demi-tour. Après un deuxième voyage, elle manœuvra à nouveau pour rejoindre le paro.
— Vous deux, ordonna Richard aux pirates qui s’apprêtaient à embarquer avec lui, vous restez avec le capitaine et le pilote. Veillez au navire.
Le canot aborda et Richard se laissa tomber dedans avec deux de ses frères.
— Allez ! Allez ! Du nerf, que diantre ! Du nerf !
Les hommes appuyèrent sur les pelles, les vagues passaient par-dessus son étrave, trempant les passagers, enfin il s’échoua sur la plage où les pirates le tirèrent jusqu’aux arbres.
Vêtus de la chemise et du pantalon court des marins, arcs, longs coutels et crocs à la main, les hommes attendaient en silence sous le couvert des chênes verts.
— Nous allons nous diviser en deux groupes, ordonna Richard. Le premier attaquera le monastère, l’autre...
— L’autre te suivra jusqu’au camp des Normands à la baie de l’Avis, termina une voix que les pirates connaissaient bien.
Le Diable de la Seudre avait jailli de l’ombre, apaisant d’un geste les acclamations de ses hommes. Il sauta sur un rocher afin que tous le puissent voir et gueula :
— Savez-vous ce qu’est la Part du Diable, mes gars ?
Un hurlement sauvage fut la seule réponse.
— La Part du Diable, c’est celle de votre chef. Ma part de pillage et de mort.
Il y eut des murmures dans les rangs et des coups de coude échangés. Les pirates se demandaient où Rohard voulait en venir.
— Si nous gagnons ce combat, si vous m’amenez vivants les hommes que je vous désignerai, cette Part du Diable, je vous l’offre. Vous serez riches, les gars. Le monastère, le camp normand, la marchandise du knörr, le trésor, tout cela sera à vous !
Bien que peu habitués à la générosité de leur chef, les hommes saluèrent cette tirade d’une acclamation de joie. Ils sautaient, criaient, dansaient en brandissant leurs armes.
— Tuez, pillez et qu’il n’y ait plus rien de vivant sur cette île quand nous lèverons l’ancre ! continua Rohard.
Nouveau hurlement.
Le Diable sauta à bas du rocher et entraîna son frère Richard à l’écart.
— Tu vas leur laisser le trésor ? demanda celui-ci, incrédule.
Une expression sournoise avait envahi les traits du Diable. Il caressa la joue de son frère d’un geste équivoque.
— Si Allard ne t’avait surpassé en beauté, c’est peut-être toi que j’aurais choisi. Tu es le moins bête.
Richard s’empourpra. Il aurait donné sa vie pour son frère, mais n’avait jamais compris sa relation avec Allard.
— Tu doutes de ma largesse ? reprit Rohard. Et tu as raison, mais grâce à ça, ils se battront jusqu’à leur dernier souffle.
— Tu leur as donc menti.
— Oui, et alors ? Qu’ils meurent en pensant qu’ils auront tout. Une fois la victoire acquise, s’il le faut, je les tuerai de mes propres mains jusqu’au dernier afin que le trésor soit mien.
— Et après ?
— Après, je me trouverai une île où je vivrai comme un roi.
— Je ne suis pas sûr
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