La nièce de Hitler
quel point l’adversité le stimule.
Non, elle ne savait pas. Elle sembla soudain
gênée, comme si elle n’avait pas l’habitude des hommes, de leur carrure et de
leur vigueur.
— Entrez donc, dit-elle, puis elle rougit
et s’écarta en le voyant remplir l’entrée de l’appartement.
— Oh, j’allais oublier, dit-il en lui
tendant ses cadeaux.
— Des chocolats ! Et un livre !
s’exclama Angela, feignant de les apercevoir à l’instant. C’est trop gentil.
— Vous êtes drôlement grand, lança Paula.
C’était une femme corpulente de presque
vingt-huit ans. Elle se tenait cachée derrière la glacière dans la cuisine, si
bien qu’on ne voyait que sa tête penchée sur le côté. Elle avait le visage un
tout petit peu plus rempli qu’Adolf, sinon la ressemblance était frappante.
Hanfstaengl souleva son chapeau et sourit.
— Vous devez être Fräulein Hitler !
— Eh oui, je dois, je suis obligée, j’ai
pas le choix.
Elle disparut de leur vue et lança :
— On n’a pas d’argent ! Allez-vous-en
tout de suite !
— Tais-toi, Paula ! cria Angela, avant
de se tourner vers Hanfstaengl et de lui confier, l’air peiné : Elle est
un peu dérangée, vous savez.
Elle comprit à son froncement de sourcils qu’il
n’était pas au courant : Hitler avait caché cela. Elle se rendit compte
que c’était l’heure du Kaffee und Kuchen.
— Donnez-moi
votre manteau, il nous reste un peu de café, je crois.
Mais Hanfstaengl ne pouvait détacher son
regard de l’appartement misérable, de la paillasse crasseuse de Léo dans le couloir,
du vieux sofa vert boiteux qui servait de lit à Geli, des quelques autres meubles
minables qui n’avaient pas encore été vendus.
— J’espère que vous me pardonnerez cette
remarque, Frau Raubal, mais il semble que vous ayez eu une mauvaise passe
récemment, tout comme nous en Allemagne, dit-il.
— Nous prenons nos repas au foyer, alors
nous sommes moins à plaindre que la plupart, répondit Angela.
— Nous avons perdu une guerre, dit-il d’un
air sombre, et le monde fait en sorte que nous ne l’oubliions pas.
Puis son regard se porta plus loin dans le
couloir, et Angela vit qu’il souriait à Geli.
Elle était en train de faire de la géométrie
par terre dans la chambre qu’Angela partageait avec Paula, mais elle avait été
tellement intriguée par cet accent américain qu’elle s’était recoiffée en
vitesse, après avoir passé sa plus belle jupe de lainage gris et le chandail en
angora rose qu’Angela trouvait trop moulant pour une gamine de quinze ans. Puis
elle était apparue dans l’entrée d’une démarche nonchalante, et s’était trouvée
face à un homme pas très beau mais jovial, à la mâchoire proéminente, mesurant
un bon mètre quatre-vingt-dix, vêtu d’un costume anglais gris clair et d’un
pardessus en cachemire noir, une main gigantesque tenant un chapeau mou gris
qui avait laissé sa marque sur ses cheveux bruns luisant de Gomina, coiffés
avec une raie au milieu.
— Et vous devez être Angelika, dit-il. Vous
êtes bien jolie.
— Mes amis m’appellent Geli.
Elle sentit sa main se perdre dans la sienne
tandis qu’il se présentait d’abord comme Herr Ernst Hanfstaengl, puis sous le
surnom que ses amis et sa famille lui donnait : Putzi, un petit nom hérité
de l’enfance qui voulait dire « mignon ».
— Dites-le, s’il vous plaît.
— Putzi.
— Maintenant, nous en avons fini avec les
formalités, dit-il en rendant sa main à Geli.
Angela montra les paquets à sa fille.
— Regarde, Geli, des chocolats ! dit-elle
avant de crier en direction de la cuisine : Paula, tu n’en veux pas ?
— Beurk ! fit celle-ci.
La main de Putzi Hanfstaengl trouva l’avant-bras
de Geli comme il se penchait vers Angela pour suggérer :
— Vous savez ce que je voudrais faire, Frau
Raubal ? Au lieu de prendre le café ici, j’adorerais inviter toute votre
famille à l’extérieur.
Léo Raubal était
encore à son école où il donnait un coup de main au veilleur de nuit, et la
Traînarde préféra aller se promener dans Stadtpark, comme elle en avait l’habitude,
un sac de zwieback écrasés à la main, cherchant en vain des pigeons à
nourrir. Il n’y eut donc qu’Angela et Geli pour accompagner Hanfstaengl boire
un moka mit Obers et déguster le fameux gâteau du très chic café Sacher.
Dans le taxi qui les y emmenait, il entreprit
cordialement Angela sur Les
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