La nièce de Hitler
Protocoles des sages de Sion, une petite
brochure qu’Hitler voulait absolument qu’elle lise afin de bien comprendre qui
était l’ennemi juré du parti. Avec une intensité qu’elle trouva digne d’un
spectacle de patronage, Putzi informa Angela que le Mouvement nationaliste juif
des sionistes avait été fondé lors d’un congrès à Bâle, en Suisse, en 1897. Ouvertement
dans le but de ramener les Juifs dans leur patrie de Palestine, mais, lui
dit-il, au cours de leurs séances secrètes, les sages de Sion avaient élaboré
un plan odieux pour que les Juifs s’emparent du monde. Chacun de leurs discours
avait été pris en sténo, et ces notes envoyées par porteur à
Francfort-sur-le-Main, où elles avaient été conservées dans les archives de la
loge maçonnique du Soleil Levant. Mais la police secrète du tsar avait réussi à
les intercepter, et la brochure avait été publiée en russe juste avant la
révolution. C’est alors qu’Alfred Rosenberg, un architecte balte que l’on
désignait souvent comme « l’idéologue en second d’Hitler », s’était
enfui à Munich, et, craignant que cette conquête juive fut déjà bien commencée,
avait rejoint le parti national-socialiste, et traduit le texte en allemand. Le
célèbre constructeur d’automobiles Henry Ford avait été si indigné par les Protocoles qu’il les avait fait publier en Amérique sous le titre The International Jew.
— Et que
disent-ils ? demanda Putzi de façon rhétorique. « Nous », – les
Juifs – « nous provoquerons agitation, luttes et haine dans toute l’Europe
puis sur les autres continents. Nous empoisonnerons les relations entre les
peuples en répandant famine, indigence et fléaux. Nous abrutirons, séduirons et
ruinerons la jeunesse. Nous utiliserons la corruption, la traîtrise et la
trahison tant que celles-ci nous serviront à accomplir nos plans. Nous
dépeindrons les méfaits des gouvernements étrangers sous des couleurs criardes
et nous créerons un tel ressentiment envers eux que les gens préféreront mille
fois un esclavage leur garantissant l’ordre à la liberté offerte par d’autres. »
— Vous voulez dire que c’est ce qu’il se
passe en ce moment ? demanda Angela en fronçant les sourcils.
— Oh, ainsi vous l’avez constaté en
Autriche également ?
— Les Juifs que je connais ne sont pas
comme ça.
— Il y a Juif et Juif, répondit-il. Je ne
peux que vous conseiller d’être prudente.
Putzi prit son stylo-plume, déchira une
feuille de son carnet d’adresses, et écrivit dessus Les Protocoles des sages
de Sion. Il tendit le papier à Angela et la regarda avec satisfaction le
ranger religieusement dans son sac à main. Puis il vit que Geli, assise à l’avant,
réprimait un bâillement.
— Ah, ces adultes, dit-il avec un sourire,
ils n’arrêtent jamais, n’est-ce pas ?
— Je n’écoutais pas vraiment, répondit-elle.
Je savoure la balade. C’est la première fois que je prends un taxi.
Ils étaient arrivés devant le café Sacher, et
Putzi Hanfstaengl sortit son portefeuille en souriant.
— Ce soir sera le soir des premières fois.
Le café Sacher était une première pour Angela
aussi. Elle fut affolée par les prix affichés sur le menu, les femmes hautaines
en fourrure, l’opulence vieille Europe du mobilier, et eut honte de sa robe
défraîchie et tachée sur le devant, de son manteau de gabardine verte tout
lustré qui datait d’avant-guerre, et de ses cheveux qu’elle coupait elle-même
avec des ciseaux de cuisine depuis les temps durs qui avaient suivi l’armistice.
Elle avait beau n’avoir que quarante ans, juste quatre ans de plus qu’Hanfstaengl
– qu’elle n’arrivait pas à appeler Putzi – elle se sentait terne et masculine
en sa compagnie, sans charme ni gaieté. Au bout d’un moment elle oublia la
haine des Juifs qu’il prônait, et se mit à trouver sympathique cet homme
imposant, généreux et joyeux. Elle aima même sa laideur – qui donnait une
saveur de comédie désabusée à toutes ses paroles. Mais apparemment, il avait du
mal à se détacher de l’admiration que lui témoignait Geli, et ne sembla s’adresser
qu’à la jeune fille quand il raconta qu’il venait d’une vieille famille de
marchands d’art et d’éditeurs, en Europe et en Amérique, qu’il était diplômé de
Harvard, où il avait été membre du Hasty Pudding Club, qu’il avait travaillé
pendant douze ans sur la 5 e Avenue à New
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