La nuit de l'ile d'Aix
comme un orage, couvre la chanson du vent dans les cèdres.
Le commandant Brayer arrive sur les talons de Gourgaud, la barbe en jachère et l’uniforme maculé.
— Sire, il faut que vous repreniez la tête de l’armée, les généraux et tous les soldats sont avec vous. Si vous ne canalisez pas cette force, nous allons avoir la guerre civile. La troupe est surexcitée, elle ne demande qu’à se battre. Il faut que vous leur parliez.
— Attendez-moi, j’y vais.
Et tandis qu’il traverse le parc, d’autres soldats, ceux de Davout, arrêtent Vitrolles, l’agent de Fouché, qui leur révèle sa mission auprès de Wellington. La Commission alertée le fait jeter en prison. À peine les portes de la geôle se sont-elles refermées sur Vitrolles, que Fouché envoie au grand quartier général allié un nouvel agent secret, Macirone, porteur d’un message urgent demandant à Wellington de pénétrer avec son armée dans Paris et d’assurer le retour du roi. Un post-scriptum termine la supplique : « Il serait bon que le duc de Wellington persuade Sa Majesté de prendre le duc d’Otrante comme ministre. »
Wellington va dicter ses conditions. Brèves et dures : il n’y a pas d’armistice possible avant que le gouvernement français ait livré Napoléon. L’armée française doit se replier derrière la Loire et le gouvernement provisoire céder la place à un vrai gouvernement. Mais en même temps il oppose un refus méprisant aux partisans de l’assassinat. Et il écrit à Sir Charles Stuart :
« Les Prussiens pensent que les jacobins veulent me livrer Napoléon dans l’espérance que je lui sauverai la vie... Blücher veut le tuer. Mais je lui ai fait savoir que je lui parlerai et que j’insisterai pour qu’on dispose de lui d’un commun accord. J’ai dit aussi à Blücher que, comme son ami particulier, je lui conseillais de ne pas se mêler d’une affaire aussi infâme. Que lui et moi nous avions joué un trop noble rôle dans ces événements pour devenir des bourreaux, et que j’étais résolu si les souverains voulaient le mettre à mort, à faire nommer un exécuteur qui ne fut pas moi. »
À Neuilly, Beker descendit de cheval et découvrit le pont hérissé de barricades. Le poste de garde campait sur l’autre rive. Beker attacha sa monture à l’orée d’un boqueteau de jeunes rouvres. Il examina les bretèches massives de pierre, de fer et d’éboulis qui obturaient le pont. Et dans la grande nuit laiteuse, entre le grondement du fleuve et le silence étoilé, le général Beker se hissa jusqu’au tablier et commença une marche d’aveugle, agrippé des deux mains au parapet. Il progressait pas à pas sur l’étroit rebord où glissaient ses bottes à hautes tiges. Il gardait la tête roide pour éviter de regarder la Seine, dont il entendait la rumeur et les remous à vingt mètres sous lui. Passer, il faut passer. Pour l’Empereur, pour la Patrie...
Il grignota pas à pas les cent mètres de son chemin de ronde de funambule, les yeux fuyant le vide, s’accrochant des ongles et tâtonnant du talon.
Sur la berge il fut accueilli par le commandant de poste qui lui procura un « méchant cabriolet de place ». Ce fut dans ce modeste équipage que le dernier ambassadeur du souverain, qui avait régné sur le continent européen, fit son entrée aux Tuileries.
Son arrivée dans la salle de la Commission suscita l’étonnement et la réprobation. On le croyait déjà sur la route de la Loire.
— Entrez, général, vous venez nous annoncer le départ de l’Empereur ?
— Non, je viens vous demander de différer ce départ.
Fouché frappait du poing sur la table.
— Qu’est-ce que vous dites ?
Beker affermit sa voix :
— L’Empereur m’envoie vous dire que la situation de la France, les vœux des patriotes et les appels des soldats réclament sa présence pour sauver la Patrie. Ce n’est plus comme Empereur qu’il demande le commandement, mais comme général dont le nom et la réputation peuvent encore exercer une grande influence sur le sort de l’Empire. Après avoir repoussé l’ennemi, il promet de se rendre aux États-Unis pour y accomplir sa destinée. Il est sûr d’écraser Blücher. Je crois que c’est la solution que l’honneur commande...
— Ce n’est plus l’honneur qui commande, général !
— Qu’est-ce donc ?
— C’est la nécessité. Et le salut du pays. Et ce salut passe par le départ
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