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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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Sainte-Alliance, j’ai dû revêtir précipitamment un uniforme autrichien pour éviter d’être assassiné. Ma mise hors la loi me désignait comme un homme à abattre.
    « À Waterloo, au pont de la Dyle, il y a huit jours, je n’ai eu que le temps de sortir de ma voiture entourée par les Prussiens du 15 e Musketiers qui voulaient me tuer, et de sauter sur un cheval. Aujourd’hui je sais que Blücher mobilise ses sbires... J’ai souvent pensé à ces balles qui sifflaient autour de moi et qui m’évitaient toujours. C’est pourquoi j’ai essayé de les aider au Mont-Saint-Jean, ce sont mes généraux qui m’ont tiré en arrière.
    « Je n’ai pas pu me détacher du cadavre de Lannes qui était pourri par la gangrène. Il a fallu m’en arracher... J’ai veillé une nuit entière seul avec le cadavre de Duroc. J’ai toujours été fasciné par la mort... Je n’ai jamais fait un pas pour l’éviter, j’irais plutôt au-devant.
    « Ainsi, à Brienne j’ai lancé mon cheval sur une bombe qui venait d’éclater parce que j’avais vu passer la peur dans le regard des jeunes soldats.
    —  Mais je sais aussi que l’an dernier à Fontainebleau, vous avez tenté de vous suicider.
    —  Depuis Moscou, le poison ne m’a pas quitté. Parce que je voulais ne pas tomber vivant aux mains des cosaques. Et là, je voudrais ne pas tomber vivant aux mains des Bourbons qui sont aussi cruels que les cosaques. Et plus lâches que des hyènes.
    Il changea de ton et se fit enjoué   :
    —  Savez-vous, Hortense, à quoi je pensais ce matin   ? À une aventure qui est arrivée à deux pas d’ici et où vous étiez mêlée, vous.
    —  Moi   ? Quelle aventure   ?
    —  C’était à Saint-Cloud, nous avions une calèche à six chevaux, à grandes guides. J’ai dit au cocher de me confier les rênes.
    J’avais comme passagers Pauline, Cambacérès, votre mère et vous. Vous vous souvenez   ?
    —  Si je me souviens, dit Hortense, c’est la plus belle peur de ma jeunesse.
    —  J’avais commencé à fouetter l’équipage et voilà que ce pauvre Caffarelli traverse en traînant la patte devant les chevaux. Ils se sont emballés, j’ai perdu le contrôle de mon attelage, la calèche a été déportée, elle est venue s’écraser contre la grille. J’ai été projeté à dix pas. J’ai été mort, vous entendez, Hortense, littéralement mort pendant huit à dix secondes. Je me rappelle très exactement le moment où j’ai cessé d’exister, 1’« instant précis de la négative   ». L’officier qui nous suivait a sauté de son cheval et est venu me rappeler à la vie. Quand j’ai ouvert les yeux, Joséphine était penchée sur moi.
    —  Et moi j’avais pris le choc de la grille sur le front. Je saignais, je pleurais...
    —  Quand je suis revenu à la vie — c’est le mot puisque j’avais cessé de vivre — , je vous ai prise dans mes bras et je vous ai promis une bague si vous cessiez de pleurer.
    Il lève les yeux   :
    —  Alors, aujourd’hui c’est le même pacte qu’il y a vingt ans   : vous ne pleurez pas, surtout pas sur moi. Je ne sais pas encore ce qui m’est réservé, mais je suis en très bonne santé et j’ai encore au moins quinze années devant moi. Je dors et je m’éveille quand je veux, je peux monter à cheval quatre heures d’affilée et travailler dix heures par jour. Et je sais comment je vais occuper mon temps en Amérique. Je peux vous confier le seul souci qui me ronge   : que va devenir le peuple de France ?
    —  Sire, les Français ne sont plus dignes de vous occuper puisqu’ils vous abandonnent. Ne songez qu’à vous seul, ne perdez pas un moment pour mettre vos jours en sûreté. Si c’est l’Amérique que vous choisissez, hâtez-vous de vous rendre à un port avant que les Anglais ne soient instruits des événements. Si c’est l’Autriche, faites sur-le-champ vos conditions   : peut-être que son souverain se rappellera que vous êtes son gendre. Pour les Anglais, ce serait leur donner trop de gloire et ils vous enfermeraient dans la tour de Londres. L’Empereur de Russie est le seul à qui vous puissiez vous fier. Ce fut votre ami ; il est loyal et généreux. Écrivez-lui, il y sera sensible...
    —  Et vous, que comptez-vous faire   ? Irez-vous à votre campagne de Genève ?
    —  Sire, je vous en prie, cessez de me traiter comme une enfant. Je ne m’occupe pas de moi, mais de vous seul. Le plus mauvais de tous les partis

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